Un nombre croissant de personnes, soucieuses de préserver l’environnement, entreprennent de réduire leur empreinte carbone individuelle, via des mesures simples : en limitant leur consommation de viande, en consommant des produits locaux, en évitant de gaspiller l’eau et l’énergie, en arrêtant d’acheter des produits inutiles, en réutilisant, en recyclant, etc. À ces mesures s’ajoute parfois un choix plus radical : décider de ne pas avoir d’enfants.
Nancy Madrid et son mari ne sont pas des militants pour le climat, mais préoccupés par le changement climatique, ils tentent d’agir à leur échelle. En dehors de nouvelles habitudes domestiques, « nous pensons que notre plus grande contribution à la réduction de notre empreinte carbone est, bien entendu, de ne pas avoir d’enfants », déclare Nancy.
Marié depuis cinq ans, ce couple basé au Texas reconnaît que la crise climatique n’est pas la seule raison à ce choix. L’un comme l’autre ne désirait pas réellement être parent, mais cet argument a suffi à faire définitivement pencher la balance. « La crise climatique m’inquiète beaucoup, d’autant plus que nous commençons à en voir les effets dans les incendies de forêt, les températures extrêmes et le déplacement des communautés », explique Nancy. Comme beaucoup de jeunes Américains, l’anxiété suscitée par le changement climatique a donc largement influencé leur choix de vie.
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Un acte de compassion envers les générations futures
Une étude publiée dans la revue Climatic Change en novembre 2020 a en effet révélé que près de 60% des jeunes Américains — sur plus de 600 interrogés, âgés de 27 à 45 ans — étaient « très » ou « extrêmement préoccupés » par l’empreinte carbone qu’un futur enfant pourrait laisser sur la planète. De plus, la quasi-totalité d’entre eux (96,5%) se disait « très » ou « extrêmement préoccupée » par le bien-être d’un enfant qui viendrait à grandir dans ce monde compromis par le climat. Les conséquences du changement climatique pourraient être bien plus graves à l’avenir que celles que nous vivons aujourd’hui. Pour certains, cette inquiétude se traduit par le fait d’avoir moins d’enfants que prévu ; pour d’autres, cela signifie ne pas en avoir du tout.
Nancy évoque « le manque d’urgence des politiciens » à aborder la crise climatique de manière adéquate, alors que les menaces d’une catastrophe environnementale et d’une pénurie de ressources sont réelles. « La pandémie, et plus récemment la crise des tempêtes hivernales au Texas, a définitivement réaffirmé notre décision », confie la jeune femme, qui estime avoir eu la chance de ne pas avoir à se préoccuper d’enfants pendant ces temps difficiles et incertains. « S’il y avait un réel désir de devenir parents, il serait largement compensé par le fait que nous pensons être actuellement incapables d’offrir un environnement et un avenir sûrs à nos enfants », conclut-elle.
Sarah Baillie, une New-Yorkaise de 31 ans, a pris la même décision. Employée au Centre pour la diversité biologique, elle est notamment chargée d’analyser l’impact de la croissance démographique sur les crises climatiques et l’extinction des espèces. Chaque jour, elle a donc un aperçu direct des défis auxquels la planète est confrontée. Dans un article publié l’an dernier, elle souligne qu’à « mesure que notre population a explosé, il y a eu une corrélation inquiétante avec le taux de perte d’espèces ». Mise ainsi face à la réalité, sa décision s’est imposée d’elle-même « car cela signifiait que les effets de mon choix dépassaient ma propre vie », dit-elle.
Toutes deux espèrent « normaliser » ce choix motivé par des préoccupations environnementales, un choix encore largement incompris et contesté par la plupart des gens. Un choix qualifié d’égoïste aussi, notamment par d’autres femmes. « Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose d’égoïste à avoir une vue d’ensemble de la planète », remarque L. A. Sokolowski, une journaliste équestre de bientôt 60 ans, qui elle aussi a fait rapidement le choix de ne pas être mère, sans aucun regret aujourd’hui.
Un « point d’entrée » pour des progrès à plus grande échelle
Mais certains futurs et jeunes parents considèrent cette décision, prise pour des raisons éthiques, comme une mise en accusation de leur propre style de vie. Ainsi, pour les personnes sans enfants, il est encore difficile d’aborder le sujet sans que leurs interlocuteurs ne s’indignent et ne tentent de les faire changer d’avis. « Quelqu’un une fois m’a dit que le monde a toujours été un mauvais endroit et que cette époque n’est pas différente, donc ce n’est pas vraiment une bonne excuse pour ne pas avoir d’enfants », se souvient Nancy. Une réaction due à un sentiment de culpabilité, pense la jeune femme : « Certaines personnes n’ont peut-être pas vraiment saisi l’occasion de réfléchir à cela, ou ont même simplement choisi d’ignorer la réalité dans laquelle nous vivons ».
Ni elle ni Sarah ne jugent les gens qui souhaitent avoir des enfants, même si elles espèrent que parler ouvertement de leur décision suscitera davantage la réflexion parmi les jeunes adultes. La motivation principale n’est évidemment pas de diviser la population autour de ce sujet délicat, mais au contraire de « créer l’unité et de faire pression sur les dirigeants pour qu’ils mettent en œuvre des changements qui favoriseraient un monde plus sûr et plus sain pour nos générations futures », souligne Sarah.
Tandis que l’angoisse face à la crise climatique s’intensifie, les protestations face à l’inaction des gouvernements connaissent un nouvel élan. Ainsi, les membres des mouvements BirthStrike (au Royaume-Uni) et No Future No Children (au Canada) se sont engagés à ne plus procréer jusqu’à ce que des progrès substantiels ne soient accomplis.
Josephine Ferorelli et Meghan Kallman, fondatrices de Conceivable Future, soulignent encore une fois que leur réseau n’est pas antinataliste ni en faveur d’un contrôle de la population. L’objectif est justement d’amener à reconnaître la menace que le changement climatique fait peser sur la procréation. Car le simple fait de se demander s’il est raisonnable ou non d’avoir des enfants dans le monde tel qu’il est aujourd’hui n’est pas normal, c’est un réel problème. Cette sensibilisation pourrait donc servir de « point d’entrée » pour organiser et mener à des progrès significatifs et à grande échelle, explique Kallman. Les enjeux personnels pourraient motiver les gens à exiger une action de la part de leur gouvernement.
« En fin de compte, nous savons que ce sont les plus grandes entreprises et les systèmes économiques qui sont les plus responsables de la catastrophe climatique », conclut Nancy. Mais la jeune femme pense que les efforts réalisés à l’échelle individuelle peuvent avoir un impact significatif s’ils vont à l’encontre des attentes de la société.