Au cours de la dernière décennie, les apiculteurs ont constaté une nette augmentation des pertes de colonies et une baisse de la production de miel. Une nouvelle étude montre que le phénomène pourrait être lié à une réduction de la durée de vie des abeilles. Cette diminution de longévité serait indépendante de facteurs environnementaux et découlerait d’une évolution génétique. Dans ce cas, il pourrait être possible de remédier à la situation.
Les abeilles sont élevées depuis plusieurs millénaires. Elles jouent un rôle primordial du fait qu’elles assurent la pollinisation d’une grande variété de plantes cultivées et sauvages. Mais aujourd’hui, leur nombre diminue dans le monde entier. Or, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, sur les 100 espèces cultivées qui fournissent 90% des aliments mondiaux, 71 sont pollinisées par les abeilles.
Depuis 10 à 15 ans, les apiculteurs rapportent des taux croissants de pertes de colonies. La cause de ce déclin rapide n’a pas été identifiée, mais plusieurs facteurs pourraient y contribuer, tels que l’agriculture intensive et l’utilisation de pesticides, la mauvaise alimentation des abeilles, les attaques d’agents pathogènes, d’espèces envahissantes ou de prédateurs, ou encore la fragmentation ou la perte des habitats. Une nouvelle étude suggère aujourd’hui que la cause du déclin pourrait également avoir une composante génétique.
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De 34 jours en 1970, à 17 jours aujourd’hui
Les études en laboratoire sur les abeilles sont courantes et essentielles pour examiner l’effet de certains facteurs environnementaux sur ces insectes ou étudier l’étiologie des maladies propres à l’espèce. Les scientifiques peuvent également faire varier la température, l’humidité et le régime alimentaire des abeilles et obtenir rapidement les réponses physiologiques qui en découlent.
Les résultats couramment mesurés dans ces études en laboratoire sont la durée de vie médiane (50% de perte de population) et la longévité (durée de vie moyenne). La longévité des abeilles a évidemment des effets directs sur la productivité de la colonie : plus une abeille vit longtemps, plus longtemps elle butine et plus la colonie produit de miel.
Alors qu’ils menaient une étude sur les protocoles standardisés pour l’élevage d’abeilles (Apis mellifera) adultes en laboratoire, Anthony Nearman et Dennis vanEngelsdorp, du département d’entomologie de l’Université du Maryland, ont remarqué le déclin de la durée de vie des abeilles. Ils ont collecté des pupes dans des ruches d’abeilles mellifères, puis les ont transférées dans un incubateur et les ont gardées à l’âge adulte dans des cages spéciales.
Ils ont entrepris de compléter le régime d’eau sucrée de ces abeilles en cage avec de l’eau ordinaire pour mieux imiter les conditions naturelles. Ils ont constaté dans un premier temps que les abeilles d’élevage ayant accès à différents types d’eau (avec ou sans sel) avaient une durée de vie médiane supérieure à celle des abeilles témoins (21 jours vs. 15 jours).
Mais ils ont également remarqué que, quel que soit le régime alimentaire, la durée de vie médiane des abeilles en cage était inférieure de moitié à celle des abeilles étudiées dans des expériences similaires menées dans les années 1970. À l’époque, cette durée était de 34,3 jours ; actuellement, la médiane est de 17,7 jours. Cette découverte a motivé un examen plus approfondi de la littérature scientifique publiée au cours des 50 dernières années.
Une évolution génétique qui pourrait découler d’une reproduction sélective
Lorsque l’équipe a modélisé l’effet d’une réduction de 50% de la durée de vie sur une exploitation apicole, où les colonies perdues sont remplacées chaque année, les taux de perte résultants étaient d’environ 33%. Or, ce résultat est très similaire aux taux moyens de perte hivernale et annuelle de 30% et 40%, respectivement, rapportés par les apiculteurs au cours des 14 dernières années, soulignent les chercheurs.
Contre toute attente, bien que des protocoles standardisés pour l’élevage des abeilles en laboratoire aient été formalisés dans les années 2000, il s’avère que le taux de mortalité a doublé depuis lors. Un environnement de laboratoire est certes très différent d’une vraie colonie, mais les archives historiques des abeilles élevées en laboratoire suggèrent une durée de vie similaire à celle des abeilles de la colonie, et les scientifiques supposent qu’un facteur réduisant la durée de vie dans l’un de ces environnements la réduira également dans l’autre.
Étant donné que les conditions d’élevage sont optimales, le déclin pourrait donc potentiellement provenir des abeilles elles-mêmes. « Nous isolons les abeilles de la vie de la colonie juste avant qu’elles n’atteignent l’âge adulte, donc tout ce qui réduit leur durée de vie se produit avant ce moment », explique Anthony Nearman. La possibilité d’une infection virale ou d’une exposition aux pesticides remontant à leur stade larvaire — alors qu’elles étaient encore dans la ruche — a été écartée du fait que les abeilles n’ont montré aucun symptôme caractéristique.
Reste la possibilité d’une composante génétique. Les apiculteurs procèdent souvent à une reproduction sélective à partir de colonies présentant des caractéristiques souhaitables, comme la résistance aux maladies. Il se pourrait que cette sélection ait involontairement entraîné une sélection pour une durée de vie réduite : une vie plus courte diminue en effet la probabilité de propagation des maladies.
Les chercheurs envisagent à présent d’examiner les tendances de la durée de vie des abeilles dans différentes régions des États-Unis et dans d’autres pays, afin d’estimer l’impact relatif des facteurs génétiques et environnementaux. En attendant, cette découverte est porteuse d’espoir : « Si cette hypothèse est juste, elle indique également une solution possible. Si nous parvenons à isoler certains facteurs génétiques, nous pourrons peut-être sélectionner des abeilles qui vivront plus longtemps », conclut Nearman.