Notre organisme abrite tout un microécosystème complexe et diversifié, en servant par exemple d’hôte permanent à des milliers de minuscules acariens du genre Demodex. Colonisant les pores de la peau (corps et visage), leur mode de vie et leur biologie restent cependant encore peu connus. Des hypothèses suggéraient que ces acariens ne possèdent pas d’anus et meurent en évacuant tous les déchets accumulés durant leur courte vie. Ces théories ont notamment contribué à les incriminer pour diverses maladies cutanées. Des spécialistes en acariens changent aujourd’hui la donne grâce au séquençage génomique : ils ont découvert qu’ils sont finalement pourvus d’anus. De plus, ces arachnides seraient en train d’évoluer vers un mode de vie symbiotique obligatoire, et pourraient nous apporter des avantages pour notre santé, à l’instar du microbiote intestinal. Une autre découverte importante : le déclin de leur génome conduirait à leur extinction en tant qu’espèce distincte.
L’intérieur et l’extérieur de notre organisme grouillent de vie. Découverts pour la première fois dans le conduit auditif humain dans les années 1800, deux espèces d’acariens habitent notre peau, notamment Demodex folliculorum, que l’on trouve surtout sur le visage et Demodex brevis. Les acariens folliculaires sont également les seuls métazoaires (animaux pluricellulaires) à vivre toute leur vie sur les humains. Étant des arachnides (incluant les tiques, araignées, etc.), ils sont cependant si minuscules qu’il est impossible de les sentir bouger ou bien de les voir à l’œil nu.
Les demodex ont en effet la forme de petits vers trapus à huit pattes et aiment s’accrocher à nos follicules pileux riches en sébum, dont ils se nourrissent. Ils passent ainsi la majorité de leur courte vie (pas plus de trois semaines) la tête en bas dans les pores, et n’émergent que pour s’accoupler. Par ailleurs, la composition de la population acariennne cutanée serait héritée des parents dès les premiers instants de la vie, et serait ainsi spécifique à chaque individu.
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Les biologistes supposaient que les Demodex ne possédaient pas d’anus. Cette hypothèse suggère ainsi que les déchets fécaux s’accumulent donc à l’intérieur de leur petit corps tout au long de leur vie, et ne sont libérés qu’au moment de leur mort.
Les dermatologues supposaient que l’abondance de ces acariens (et les bactéries qu’ils sont sont censés excréter en mourant) était impliquée dans des maladies cutanées telles que la rosacée. « Il est plus facile et plus rapide de blâmer les acariens », souligne Alejandra Perotti, coauteure principale de la nouvelle étude et chercheuse à l’Université de Reading au Royaume-Uni.
De nouvelles recherches codirigées par les Universités de Bangor et de Vienne semblent réfuter ces hypothèses profondément ancrées. Les résultats de séquençages génomiques, présentés dans la revue Molecular Biology and Evolution, montrent que Demodex folliculorum serait bel et bien pourvu d’un anus, et peut excréter ses déchets tout au long de sa vie. Ils révèlent également que ces acariens évoluent d’un stade de parasite obligatoire blessant l’hôte à un symbiote obligatoire (fournissant des avantages à l’hôte tout en dépendant et se nourrissant de lui).
Un génome en déclin
D’après les auteurs de la nouvelle étude, le surnombre d’acarien détecté chez les personnes souffrant de rosacée ou d’autres maladies de la peau pourrait être une conséquence de ces maladies et non pas la cause, comme le supposaient les anciennes théories. De plus, le séquençage du génome des acariens a démontré qu’en étant pourvus d’anus, ces animaux ne déchargent finalement pas en une fois les supposées grandes quantités d’excréments remplies de bactéries, censés infecter la peau.
Les chercheurs de la nouvelle étude ont fait une autre découverte importante, selon laquelle les acariens auraient évolué en réduisant l’entier de leur code génétique. Ils sont notamment dotés d’un génome très simple (le plus petit nombre de gènes codant parmi les panarthropodes), leur permettant probablement de vivre avec le minimum nécessaire de cellules. Leurs pattes ne sont par exemple contrôlées que par une seule cellule musculaire.
Par ailleurs, la réduction du nombre de cellules chez les parasites débute généralement tôt dans leur stade de développement. Pourtant, le plus grand nombre total de cellules chez le Demodex folliculorum n’est observé qu’à l’état de nymphe (au stade adulte terminal), suggérant que la réduction de cellules ne commence qu’à l’âge adulte. Il s’agirait notamment de la première étape évolutive de l’espèce adoptant un mode de vie endosymbiotique (une forme de symbiose où l’un des deux organismes vit à l’intérieur de l’autre).
Le demodex aurait aussi évolué pour adopter un rythme de vie jour/nuit unique et conditionné par la mélatonine de l’hôte humain. Il aurait ainsi perdu la capacité de survivre à la lumière ultraviolette. En plus d’une endogamie (le choix d’un partenaire au sein d’un petit groupe) extrême, la perte des gènes de réparation de l’ADN pourrait conduire à l’extinction de l’espèce en tant qu’individu distinct. Déjà observé chez des bactéries, ce sera peut-être la première fois que le phénomène serait observé chez un animal.