Selon une nouvelle étude, les acouphènes seraient dus à des dommages au niveau de fibres spécifiques du nerf auditif, qui seraient indétectables avec les tests auditifs standards. Cela expliquerait notamment pourquoi les personnes qui en souffrent sont classées — à tort — comme ayant une audition normale. Cette découverte pourrait à terme découler sur des traitements.
Affectant environ 10 à 15% des adultes dans le monde, les acouphènes sont des bourdonnements auditifs désagréables dont il n’existe à ce jour aucun remède pharmacologique. Les acouphènes peuvent dans certains cas devenir débilitants et fortement affecter la qualité de vie en provoquant notamment un manque de sommeil, une réduction des performances au travail, un isolement social, de l’anxiété et une dépression.
Il a été suggéré par le passé que les acouphènes sont dus à un défaut de plasticité cérébrale. Plus précisément, ils seraient provoqués par une diminution de l’activité neuronale engendrée par des dommages au niveau de la cochlée, la structure en forme d’escargot de l’oreille interne, traitant les vibrations sonores. Le système nerveux central compenserait ces dommages en induisant une hyperactivité responsable de la perception de « sons fantômes ».
Des expériences sur des modèles animaux de surdité neurosensorielle ont montré que la perte de connexion synaptique avec les cellules ciliées internes laisse de nombreux neurones ganglionnaires spiralés sans aucune activité de réponse au son. En revanche, les circuits auditifs centraux présentent une hausse d’activité de réponse, ce qui pourrait suggérer un comportement adaptatif en réponse aux défaillances périphériques, qui serait associé aux acouphènes.
Cependant, cette hypothèse était jusqu’à récemment controversée, étant donné que de nombreuses personnes souffrant d’acouphènes montrent des résultats normaux aux tests auditifs standard. Or, il a récemment été suggéré que des dommages permanents au nerf cochléaire peuvent survenir suite à une surexposition à des sons trop forts ou durant le vieillissement, et ce alors même que les cellules sensorielles restent en partie intactes. Ce constat concorde avec le modèle précédemment contesté, suggérant notamment l’existence d’une véritable défaillance neurosensorielle sous-jacente aux acouphènes.
Une nouvelle étude du Massachusetts Eye and Ear visait à explorer de quelle manière exactement la dégénérescence neuronale cochléaire (CND) est associée aux acouphènes. « Nous ne pourrons pas guérir les acouphènes tant que nous n’aurons pas pleinement compris les mécanismes qui sous-tendent leur genèse », explique dans un communiqué le coauteur principal de l’étude, Stéphane F. Maison, du Masschusetts Eye and Ear. « Ce travail est une première étape vers notre objectif ultime de faire taire les acouphènes », ajoute-t-il.
Un comportement de compensation au niveau du tronc cérébral
Jusqu’à il y a peu, les tentatives visant à démontrer une association entre la CND et les acouphènes chez les personnes ayant des résultats auditifs normaux ont produit des résultats mitigés. Si certaines confirmaient la relation, d’autres semblaient au contraire la réfuter. Parmi les raisons des écarts dans les résultats figureraient la grande variabilité de la perception des acouphènes chez les individus concernés ainsi que les différences entre les protocoles utilisés pour analyser les réponses du nerf cochléaire. D’autre part, la comparaison entre les cohortes présentait des difficultés liées au fait que certains sujets peuvent présenter des lésions cochléaires qui ne provoquent pas d’acouphènes.
La nouvelle étude, détaillée dans la revue Scientific Reports, met peut-être fin au débat en fournissant les données les plus précises à ce jour sur la relation CND-acouphènes. Dans le cadre de cette enquête, 294 volontaires ont été recrutés, dont 201 témoins sains, 64 qui ont eu des acouphènes au moins une fois et 29 qui souffraient d’acouphènes chroniques avec des symptômes persistant au moins 6 mois. Chaque participant a effectué un test standard d’audition (audiogramme).
Malgré la présence d’acouphènes, chaque participant a réussi le test d’audition. Cependant, lorsque des électrodes étaient placées pour mesurer l’activité du nerf auditif et du tronc cérébral en réponse à des cliquetis, il a été constaté que les personnes souffrant d’acouphènes présentaient des irrégularités. Ces dernières étaient liées à des dommages au niveau d’un groupe spécifique de fibres nerveuses, traitant les sons de forte intensité.
Les sons forts et légers sont traités par deux ensembles distincts de fibres nerveuses auditives. Cela signifie qu’en écoutant un chuchotement par exemple, nous utilisons uniquement le premier ensemble. En revanche, lorsque l’on se trouve dans un environnement bruyant, nous utilisons également l’ensemble de fibres nerveuses traitant les sons forts. Ces dernières peuvent être endommagées avec le vieillissement ou suite à des traumatismes auditifs. Cependant, ces dommages spécifiques ne peuvent être détectés par le biais de tests standards, étant donné que ces derniers évaluent uniquement la capacité à entendre des sons de faible intensité. En outre, il a été constaté que les participants souffrant d’acouphènes présentaient également une hyperactivité des neurones du tronc cérébral. Cela refléterait un comportement de compensation de la perte d’une partie des fonctions du nerf auditif.
« Ces résultats soutiennent le modèle de génération d’acouphènes selon lequel une diminution de l’activité neuronale due à une cochlée endommagée peut provoquer une hyperactivité due à une diminution de l’inhibition du système nerveux central », ont écrit les chercheurs dans leur document. Cela suggère également la possibilité de soulager les acouphènes en régénérant les fibres nerveuses auditives endommagées, en utilisant par exemple des neurotrophines (des facteurs de croissance).