Les insectes, présentés à la fois comme nuisibles et comme les ressources alimentaires du futur, sont d’une importance capitale pour l’équilibre de tous les écosystèmes à travers le monde. Mais le changement climatique, l’utilisation de nombreux insecticides, pesticides et engrais, réduisent dramatiquement leur biodiversité et mettent en péril certaines espèces clés. Récemment, une équipe de chercheurs allemands a trouvé des traces d’ADN de plusieurs centaines d’insectes dans des sachets de thé et d’herbes séchées du commerce. Ces minuscules résidus, conservés parmi les feuilles séchées, pourraient aider les scientifiques à suivre les ravageurs et à surveiller le déclin des populations d’insectes indispensables à notre survie, tels que les abeilles.
Tous les scientifiques l’affirment, 40% des insectes sont en déclin. En 30 ans, les populations d’insectes auraient chuté de 80% en Europe. Environ 75% de la biodiversité terrestre est soutenue par un système complexe d’interactions entre les plantes (dite hôtes), les insectes herbivores et leurs prédateurs associés (souvent d’autres arthropodes).
Les insectes sont donc centraux dans le monde vivant : à ce jour, les scientifiques ont inventorié environ 1,1 million d’espèces, alors qu’on estime leur nombre entre 6 et 7 millions. Ce groupe d’animaux est d’une importance cruciale pour l’équilibre de l’écosystème mondial, qu’ils soient décomposeurs, détritivores, herbivores ou pollinisateurs. Leurs interactions avec les plantes sont de nature co-évolutive, dans une sorte de course à l’armement soutenant la biodiversité.
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Leur étude est donc un enjeu majeur, mais malheureusement, les techniques actuelles pour les répertorier sont peu efficaces. Jusqu’à présent, les insectes devaient être capturés dans des pièges. Cette pratique a l’inconvénient d’induire une forte mortalité chez les insectes capturés. Sans compter que généralement, seuls certains des insectes entrant en contact avec une plante sont capturés et donc inclus dans l’analyse, occultant un grand nombre d’autres espèces tout aussi indispensables à la plante.
Récemment, Henrik Krehenwinkel, de l’Université de Trèves (Allemagne) a présenté une nouvelle méthode permettant d’obtenir de l’ADN environnemental significatif (ADNe) à partir de plantes séchées et de l’évaluer. L’ADN environnemental est de l’ADN collecté dans l’environnement plutôt que directement sur un organisme. Sa collecte permet, grâce à des outils génétiques comme le métabarcoding, d’identifier la ou les espèces dont il provient. Leur méthode est publiée dans la revue Biology Letters.
Une tasse de thé avec un nuage d’ADN d’insectes
La possibilité de prélever de l’ADNe presque n’importe où dans l’environnement — dans l’eau, dans le sol ou sur les plantes — a permis au biomonitoring, à l’observation et à la surveillance des animaux et des plantes, de progresser rapidement ces dernières années.
L’innovation de la méthode développée par Henrik Krehenwinkel, Sven Weber et Susan Kennedy, est que l’ADNe est prélevé à partir de matériel végétal broyé et séché. Ils ont conçu un test de métabarcoding pour enrichir sélectivement l’ADN d’arthropodes à partir d’extractions de plantes homogénéisées tout en empêchant l’amplification de l’ADN végétal, via une séquence clé qui diffère entre les arthropodes et les plantes. À l’aide de ce test, ils ont analysé divers thés et herbes produits dans le commerce, mais pas de café. En effet, ce dernier subit trop de transformations avant d’être vendu, perdant toute trace ADN des insectes qui auraient pu côtoyer la plante.
Ainsi, les échantillons ont révélé des communautés d’arthropodes écologiquement et taxonomiquement diverses, un total de plus d’un millier d’espèces dans plus de 20 ordres, dont beaucoup sont spécifiques à leur plante hôte et à son origine géographique. Par exemple, le thé à la menthe contenait de l’ADN d’insectes trouvés dans la région nord-ouest du Pacifique des États-Unis, alors que le thé vert contenait de l’ADN d’insectes originaires d’Asie de l’Est.
Henrik Krehenwinkel explique dans un communiqué : « Nous avons examiné des thés et des herbes disponibles dans le commerce et avons trouvé l’ADN de jusqu’à 400 types d’insectes différents dans un seul sachet de thé ». Cette présence d’insectes dans les sachets de thé est un bon indicateur pour les consommateurs, car elle témoigne d’un usage limité, voire inexistant, d’insecticides.
De nombreux projets scientifiques, éducatifs et même criminels
Alors que l’on considère l’ADN rapidement décomposé par la lumière UV ou emporté par la pluie, les chercheurs de l’étude ont fait une découverte surprenante. Cet ADN contenu dans les plantes séchées est étonnamment stable. Henrik Krehenwinkel souhaite donc utiliser des collections de plantes archivées depuis des décennies pour vérifier si le biomonitoring peut être tracé sur une longue période grâce à leur méthode.
L’observation des interactions entre plantes et insectes intéresse particulièrement la science pour suivre l’évolution de la biodiversité. Précédemment, il a été démontré que les espèces d’insectes associées à certaines espèces végétales disparaissaient avec la plante — et inversement. Avec l’aide de la méthode ADNe, les chercheurs pourraient obtenir de nouvelles informations sur les causes de ces déclins.
Outre cette biosurveillance, le matériel végétal séché est bien adapté à la lutte antiparasitaire. De nombreuses espèces de ravageurs vivent de manière cryptique sur ou à l’intérieur de leur plante hôte, ce qui les rend difficiles à détecter. Les ravageurs envahissants ne sont souvent reconnus que lorsqu’ils ont atteint de très grandes tailles de population. Le séquençage régulier d’échantillons de plantes séchées permettrait la détection de tels ravageurs cryptiques bien avant les épidémies, ou permettrait la détection de ravageurs dans les entrepôts.
Il existe également une multitude d’applications possibles, allant du projet éducatif et de sensibilisation à la protection de la nature à la recherche criminelle. Henrik Krehenwinkel explique : « Nous travaillons actuellement à simplifier le protocole de notre procédure afin que les classes scolaires puissent travailler avec. À terme, cela pourrait déboucher sur un projet de science citoyenne dans lequel des citoyens mènent des recherches dans le domaine de la biodiversité ».
Enfin, la procédure pourrait aussi devenir un outil précieux pour les douanes. En effet, des déclarations fiables sur l’origine géographique réelle des plantes peuvent être faites à l’aide de l’ADNe. De cette manière, les douanes pourraient déterminer si les types de thé importés proviennent réellement des pays spécifiés. Ce qui est possible avec le thé s’applique également à d’autres plantes entrant dans la composition des médicaments.
Les auteurs soulignent que leur méthode demande encore une normalisation supplémentaire. Sans compter qu’il reste à tester si l’analyse passe à côté de certains taxons, par exemple parce qu’ils déposent moins d’ADNe sur la plante. Une vidéo explique comment les chercheurs obtiennent et traitent l’ADNe à partir de matériel végétal broyé et séché.