En mai dernier, la Food and Drug Administration (FDA) a approuvé une thérapie génique prometteuse visant à traiter l’épidermolyse bulleuse dystrophique (EBD). Un médecin a tenté de transposer le traitement aux yeux d’un adolescent de 14 ans ayant presque perdu la vue à cause d’une forme grave de la maladie. Résultat : après quelques mois, il a retrouvé toute son acuité visuelle et ne présentait plus, au niveau des yeux, les tissus cicatriciels typiques de la pathologie.
L’EBD est une maladie génétique rare affectant près de 3000 personnes dans le monde. Elle est provoquée par la mutation du gène COL7A1 codant le collagène de type 7 et se traduit par l’absence ou le dysfonctionnement de fibrilles d’ancrages structurels maintenant l’adhésion de l’épiderme au derme. Les personnes souffrant de la maladie ont la peau si fragile qu’ils peuvent développer des cloques étendues et des plaies douloureuses à la suite de chocs légers — d’où l’appellation « maladie bulleuse ». Au fil du temps, les cloques et les fibroses répétitives peuvent évoluer en un carcinome épidermoïde, entraîner des infections potentiellement mortelles, une défiguration et des déformations des membres.
Antonio Vento Carvajal, l’adolescent récemment traité pour la maladie, doit constamment porter des vêtements spéciaux afin d’éviter de se blesser. Les cloques engendrées par la maladie peuvent, selon leur localisation, se propager jusqu’à l’intérieur des yeux et former d’épais tissus cicatriciels entraînant une perte progressive de la vision. Dans le cas d’Antonio, sa vision n’a cessé de se détériorer jusqu’à le rendre quasiment aveugle à ses 14 ans.
En participant aux essais cliniques du Vyjuvek, une thérapie génique topique (en application externe) récemment approuvée par la FDA (basée sur un vecteur du virus de l’herpès-simplexe de type 1), l’état de la peau de l’adolescent s’est nettement amélioré. Cependant, l’état de ses yeux a recommencé à se détériorer après des séries de chirurgies visant à retirer les tissus cicatriciels. Alfonso Sabater, son médecin traitant, affilié à l’Université de Miami, s’est alors demandé si le Vyjuvek pouvait être adapté à l’application oculaire — une idée qui allait changer la vie de son patient.
67% de cicatrisation pour l’application cutanée
Pour soigner les yeux de son patient, Krystal Biotech, le laboratoire ayant développé le traitement en collaboration avec des chercheurs de Stanford, a accepté de le reformuler de sorte à l’adapter à l’application oculaire. Le principe actif est composé de virus inactivés d’herpès simplex HSV-1, génétiquement modifiés pour vectoriser des gènes COL7A1 sains. Ces virus sont également conçus pour ne pas se répliquer en pénétrant les cellules hôtes.
À savoir que des traitements cellulaires antérieurement testés pour l’EBD ont montré un certain succès, mais comportaient tout de même de nombreuses limites. La greffe de moelle osseuse sur un petit groupe de patients a par exemple montré une mortalité de 30%. D’un autre côté, la thérapie génique comportait également des obstacles majeurs. Pour que le gène sain soit transféré avec succès, il est essentiel que le vecteur viral soit d’assez grande taille afin de pouvoir le contenir (le COL7A1 fait environ 9 kilobases). Or, le choix de vecteurs disponibles est limité en raison des potentielles réactions immunitaires.
Afin de surmonter ces défis, les chercheurs de Stanford ont conçu un vecteur viral d’herpès simplex à réplication défectueuse. C’est-à-dire que la livraison du gène sain au niveau du noyau cellulaire s’effectue sans interaction avec l’ADN hôte. Contrairement aux thérapies géniques dites « ponctuelles », ce procédé permet de ne pas modifier le génome. En outre, il permet une capacité de charge utile élevée, un tropisme cutané et une évasion immunitaire, permettant une administration répétée.
Pour le traitement cutané, le Vyjuvek est mélangé à un gel avant l’application pour être uniformément administré en gouttelettes, au niveau des plaies. Les essais cliniques de phase 3 ont montré une cicatrisation complète chez 67% des patients après 6 mois de traitement hebdomadaire (contre 22% pour le placebo).
« Après quatre mois, j’ai vu une amélioration sur une grande blessure au dos que j’avais depuis 20 ans. Après six mois, la plaie avait presque complètement guéri et était ainsi beaucoup moins douloureuse », a témoigné Vincenzo Mascoli, l’un des patients ayant participé aux essais. Selon ses médecins, Mascoli a pu à nouveau se baigner et dormir sur le dos, de simples activités que les personnes souffrant d’EBD ne peuvent se permettre. Le patient de Sabater a également bénéficié de ce traitement, mais pour les premiers essais oculaires, le traitement a été administré sous la forme d’un collyre.
Une vision presque parfaite
Après avoir subi en août 2022 une dernière chirurgie oculaire pour retirer les tissus cicatriciels entravant sa vue, Antonio a reçu les gouttes de Vyjuvek une fois par mois. Pour commencer, les médecins ont instillé le traitement au niveau de l’œil droit afin d’en comparer l’évolution avec l’œil gauche, laissé sans traitement. Par prudence, l’état du patient a été contrôlé environ une fois par semaine.
Après plusieurs mois de traitement, l’œil traité n’a pas récidivé et a cessé de développer des tissus cicatriciels. Les derniers tests d’acuité visuelle d’Antonio ont montré un score proche de 20/20 de l’œil droit. En commençant cette année à traiter l’œil gauche, qui présentait davantage de tissus cicatriciels, il recouvre progressivement une bonne vue des deux yeux. L’adolescent a déjà pu jouer aux jeux vidéo avec ses amis et se déplacer sans crainte de se blesser.
L’idée de Sabater offre non seulement un nouvel espoir pour les patients atteints d’EBD sévère, mais également pour d’autres atteintes oculaires plus courantes. En effet, il serait envisageable de modifier la charge virale utile pour administrer d’autres gènes sains pour traiter par exemple la dystrophie de Fuchs, affectant la cornée, ou d’autres maladies génétiques à séquelles oculaires.