En Europe, plus de 6% des enfants et plus de 3% des adultes sont concernés par les allergies alimentaires. La recherche dans ce domaine va bon train et le microbiote intestinal est rapidement apparu comme une piste intéressante. Certaines de ces bactéries produisent un composé, appelé butyrate, qui s’avère très prometteur pour traiter les allergies alimentaires. Malheureusement, il est très désagréable à prendre par voie orale. Des chercheurs de l’Université de Chicago ont trouvé un autre moyen d’administrer ce composé aux patients allergiques.
La prévalence des allergies alimentaires a considérablement augmenté au cours des 20 dernières années, en particulier dans les pays développés. L’œuf, l’arachide, le lait de vache, les crustacés, ou encore les fruits à coque font partie des allergènes les plus courants. Bien que désagréables, les symptômes sont relativement légers et faciles à soulager dans la plupart des cas (démangeaisons au niveau du palais ou de la gorge, urticaire, rhinite allergique, douleurs abdominales, etc.). Dans certains cas en revanche, ils nécessitent une intervention d’urgence (œdème pharyngé empêchant la respiration ou choc anaphylactique).
Certaines des bactéries du microbiote intestinal, les Clostridia, produisent du butyrate, un acide gras à chaîne courte qui favorise la croissance des « bonnes » bactéries et préservent ainsi la muqueuse intestinale. Si le microbiote d’un individu est déséquilibré (on parle de dysbiose intestinale) et manque de ces bactéries productrices de butyrate, des fragments d’aliments partiellement digérés peuvent s’échapper de l’intestin et produire une réaction immunitaire qui se traduit par une réponse allergique. Une piste de traitement consistait à administrer les bactéries manquantes par voie orale ou par transplantation fécale, mais les essais cliniques se sont avérés peu concluants.
Des micelles polymères pour encapsuler le métabolite
Les chercheurs ont alors pensé à administrer directement aux patients souffrant d’allergies alimentaires le métabolite produit par ces bactéries, soit le butyrate. « Mais le butyrate a une très mauvaise odeur, similaire à celle d’excréments de chien et du beurre rance, et il a aussi mauvais goût, donc les gens ne voudraient pas l’avaler », explique le Dr Shijie Cao dans un communiqué de l’American Chemical Society. Mais ce n’est pas le seul problème : si quelqu’un parvenait à l’avaler, le composé serait digéré avant même d’atteindre sa cible (la partie inférieure de l’intestin).
Pour contourner ces obstacles, Cao et ses collaborateurs ont développé un nouveau mode d’administration de ce métabolite. Ils ont polymérisé le butanoyloxyéthyl méthacrylamide — une molécule dont la chaîne latérale comporte un groupe butyrate — avec de l’acide méthacrylique ou de l’hydroxypropyl méthacrylamide. Les polymères ainsi obtenus se sont assemblés en agrégats, ou « micelles polymériques » : ces micelles d’environ 30 nanomètres de large adoptent une conformation telle que le butyrate se trouve emprisonné en leur cœur — ce qui masque l’odeur et le goût désagréables du composé.
Les micelles permettent également de protéger le butyrate des sucs gastriques suffisamment longtemps pour qu’il puisse atteindre sa destination. Plus précisément, les chercheurs ont créé deux types de micelles : l’une (notée NtL-ButM), a une charge électrique neutre, et l’autre (Neg-ButM) porte une charge négative. Cette différence de charge entraîne la libération du butyrate dans différentes régions du tractus gastro-intestinal.
L’équipe a testé ce mode d’administration sur 80 souris dont le système digestif avait été dépourvu au préalable de bactéries productrices de butyrate (via un traitement antibiotique). Ces souris ont ensuite été rendues allergiques aux arachides. La moitié d’entre elles ont été traitées avec les micelles au butyrate, deux fois par jour pendant deux semaines ; l’autre moitié, utilisée comme groupe contrôle, a reçu une solution saline. À l’issue du traitement, l’ensemble des souris ont été nourries avec 1 mg de protéine d’arachide.
Une approche applicable à d’autres maladies inflammatoires
L’effet protecteur contre les allergies a été confirmé : ainsi exposées à l’arachide, les souris traitées par les micelles n’ont pas présenté de réaction anaphylactique, contrairement au groupe témoin. Un résultat particulièrement encourageant pour le Dr Cao : « Ce type de thérapie n’est pas spécifique à un antigène. En théorie, elle peut donc être appliquée à toutes les allergies alimentaires par la modulation de la santé intestinale », souligne-t-il.
Comme prévu, le butyrate a bien été libéré dans la partie inférieure de l’intestin ; les polymères restants ont quant à eux été éliminés normalement dans les fèces des rongeurs. Les chercheurs ont observé que le traitement avait rétabli la barrière protectrice de l’intestin et rééquilibré le microbiome en augmentant la production de peptides tueurs de bactéries nuisibles, favorisant ainsi la prolifération de bactéries productrices de butyrate. Ils ont noté que l’administration conjointe des deux types de micelles produisait les meilleurs résultats.
Ce traitement pourrait donc un jour contrer de nombreux types d’allergies alimentaires, voire d’autres maladies inflammatoires. Le butyrate a aussi montré un potentiel thérapeutique dans la prévention de certaines pathologies digestives telles que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, les diverticulites ou le syndrome de l’intestin irritable.
L’équipe envisage à présent de mener d’autres essais sur des mammifères plus gros, avec d’autres antigènes, puis sur l’Homme. Si les effets des micelles polymériques se vérifient et que le traitement obtient une autorisation de mise sur le marché, il pourrait être commercialisé sous forme de petits sachets de poudre à mélanger à de l’eau. Mais les chercheurs étudient également une autre voie d’administration, par injection. Cette méthode permettrait en effet aux micelles de s’accumuler dans les ganglions lymphatiques — une approche qui s’est avérée efficace pour traiter les allergies aux arachides chez les souris.
L’administration des micelles par injection permettrait également d’agir plus localement contre une réaction allergique — donc de supprimer l’activité immunitaire de façon plus ciblée. Cette méthode pourrait notamment être utilisée chez les patients greffés (pour éviter les rejets) ou chez les patients souffrant d’une affection auto-immune et inflammatoire localisée, comme la polyarthrite rhumatoïde.