Des chercheurs ont pour la première fois imagé et manipulé un alter-aimant, un nouveau type de magnétisme dont la première preuve expérimentale remonte seulement à cette année. L’équipe a capturé en détail (à l’échelle nanométrique) l’agencement et l’orientation des électrons, des aspects déterminants pour les caractéristiques magnétiques inhabituelles du matériau et ouvrant la voie à de futures applications pratiques.
Les aimants conventionnels, appelés ferromagnétiques, adhèrent au fer, à l’acier, au nickel et au cobalt. Leur magnétisme se manifeste lorsque les électrons qui les composent sont tous orientés dans la même direction. Leurs spins (une caractéristique quantique des particules liée à leurs propriétés de rotation) magnétiques sont donc orientés dans le même sens selon un phénomène appelé « magnétisme macroscopique net ».
En revanche, les aimants dits « antiferromagnétiques » possèdent des électrons dont les spins sont orientés dans des directions alternées. Contrairement aux ferromagnétiques, ils ne possèdent pas de magnétisation macroscopique nette et n’adhèrent donc pas au fer (ni à l’acier, au nickel et au cobalt).
Bien que ces propriétés semblent a priori incompatibles, certains matériaux ont été identifiés comme possédant ces deux caractéristiques simultanément. Des études ont en effet mis au jour d’étranges matériaux dont la structure de spins ne correspondait ni aux aimants ferromagnétiques ni aux aimants antiferromagnétiques. À l’instar des antiferromagnétiques, leurs spins sont alternés, entraînant ainsi une absence de magnétisation macroscopique nette. Cependant, leur champ magnétique interne peut moduler le courant électrique, une propriété typique des ferromagnétiques.
Démontrés expérimentalement en février de cette année, ces matériaux dits « alter-aimants » possèdent une division de bandes électroniques correspondant à des états de spins différents. Autrement dit, les électrons se séparent en deux groupes, permettant de générer les orientations inhabituelles caractérisant l’altermagnétisme. Cependant, ces propriétés inhabituelles restent difficiles à contrôler et à observer, et leur fonctionnement exact demeure en partie incompris.
La nouvelle étude, codirigée par l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), présente pour la première fois une visualisation détaillée des mouvements des électrons à l’intérieur d’un alter-aimant. « Dans nos travaux précédents, nous avons mesuré le comportement des électrons et leur spin dans l’espace réciproque, mais nous n’avions aucune image directe de la façon dont ils s’organisent dans l’espace réel », explique dans un communiqué de l’EPFL Hugo Dil, coauteur principal de l’étude.
Des structures de grande taille et personnalisables
Pour observer les propriétés des alter-aimants, les chercheurs ont utilisé la microscopie électronique à photoémission de rayons X polarisés (PEEM) pour cartographier en détail la structure cristalline en grille du tellurure de manganèse (MnTe). En plus d’une sensibilité élevée au magnétisme et un haut degré de spécificité à certains éléments, cette technique permet d’effectuer une imagerie simultanée de l’espace réel du matériau à l’échelle nanométrique. Les mesures ont été effectuées à 100 Kelvin (-173 °C) au niveau d’un film de MnTe de 30 nanomètres d’épaisseur, placé à l’intérieur d’un substrat de phosphure d’indium (InP).
Les images ont révélé la direction de spin magnétique au niveau de chaque point de la grille cristalline altermagnétique. Les chercheurs ont également constaté qu’il était possible de contrôler chaque point de spin de la grille. Plus précisément, l’orientation des spins a été contrôlée par le biais de la microstructuration et du cyclage thermique. En dessous de 310 Kelvin (36 °C), l’ordre magnétique se situe par exemple dans le plan a-b du film.
« Il était étonnant de voir comment les six directions possibles se rejoignent en des points spéciaux, appelés vortex ou antivortex, et que nous pouvons les déplacer grâce à des champs magnétiques », explique Dil. D’autre part, la lithographie par faisceau d’électrons (une technique consistant à graver des motifs sur une surface à l’aide d’un faisceau d’électrons) a permis de créer de grandes structures altermagnétiques aux propriétés personnalisées.
« La détection démontrée et la formation contrôlée de configurations de spin altermagnétiques ouvrent la voie à de futures études expérimentales dans le domaine de la recherche théorique de l’altermagnétisme », indiquent les chercheurs dans leur document, publié dans la revue Nature. Parmi ces domaines d’étude figurent par exemple l’interaction de l’altermagnétisme avec les phases supraconductrices et topologiques, et les dispositifs spintroniques numériques et neuromorphiques hautement évolutifs. Ces travaux pourraient ainsi ouvrir la voie à des avancées dans les technologies de stockage et de transfert de données.