Malgré une large gamme d’effets positifs sur le cerveau, la thérapie musicale est sous-exploitée en milieu hospitalier. Des chercheurs ont récemment démontré qu’en écoutant un musicien jouer de l’alto de façon improvisée en gardant une approche clinique, des patients épileptiques présentant une forte détresse émotionnelle entraient dans un état quasi méditatif. Leurs électroencéphalogrammes (EEG) montraient en effet un état d’apaisement significatif lors de leur admission en unité de surveillance pour l’épilepsie.
Le suivi de l’épilepsie nécessite parfois la simulation de conditions pouvant provoquer des crises. L’admission en unité de surveillance pour l’épilepsie a pour objectif d’évaluer la fréquence des crises afin d’optimiser les traitements. Pour ce faire, les patients doivent temporairement suspendre ou réduire leurs prises de médicaments. Ces conditions peuvent provoquer un tel stress que certains ne parviennent pas à achever les tests nécessaires à leur suivi. Afin d’améliorer le bien-être des patients et faciliter leur suivi au niveau des unités de surveillance, les médecins explorent des alternatives non pharmacologiques, telles que la musique.
Les réponses innées de notre cerveau à la musique peuvent avoir des avantages thérapeutiques non négligeables. L’une d’elles est l’entraînement, qui se traduit par un processus de verrouillage temporel au sein duquel la fréquence du signal (sonore) s’aligne sur celle du système nerveux. En effet, le système auditif possède un grand nombre de connexions ramifiées, distribuées vers les centres moteurs. L’effet de l’entraînement peut induire des mouvements rythmiques physiques. Par exemple, lorsqu’on entend une musique bien rythmée, nous pouvons avoir en réponse une envie irrépressible de taper du pied, tandis qu’un rythme plus lent entraîne une relaxation musculaire. « La musique en tant qu’outil clinique est sous-utilisée en milieu ambulatoire et dans les hôpitaux », estime l’auteur principal de la nouvelle étude, Borna Bonakdarpour, de l’Université de Northwestern.
Les scientifiques estiment que la nature oscillatoire de la musique peut être exploitée pour soulager des états pathologiques tels que l’anxiété et l’épilepsie, surtout pour les unités de surveillance où les traitements pharmacologiques sont réduits ou suspendus. « Il y a eu une pénurie d’interventions non pharmacologiques pour les patients épileptiques à l’hôpital, et nous montrons que les patients ont bénéficié de manière significative de l’intervention musicale », explique Bonakdarpour, d’après le rapport publié dans la revue Frontiers in Neurology.
Des patients entrant dans un état quasi méditatif
En tant que phénomène oscillatoire, la musique peut avoir des effets modulateurs sur le tronc cérébral. Certains rythmes peuvent calmer émotionnellement les personnes épileptiques, tandis que d’autres sont susceptibles de déclencher des crises. Dans le cadre de leur expérience, les chercheurs du Northwestern ont alors fait appel à un altiste certifié en musique clinique. D’autre part, l’alto a été choisi en raison de sa capacité à générer des gammes sonores bénéfiques pour le cerveau humain, notamment dans les deux octaves médianes. Des études ont précédemment révélé qu’en étant utilisées pour les berceuses, ces gammes activent les systèmes traduisant l’apaisement au niveau du cerveau.
L’altiste recruté pour l’étude a joué des improvisations de mélodies simples et sinueuses à tempo lent et sans mesure. 5 patients épileptiques (dans la trentaine) ont participé à l’expérience et ont été admis dans des unités de surveillance pour l’épilepsie pendant la pandémie de COVID-19 (une source de stress supplémentaire). Ces personnes ont été sélectionnées pour leur importante détresse émotionnelle et parce que l’écoute seule des enregistrements de leurs chansons préférées ne suffisait pas à les apaiser. Chaque musique jouée en temps réel par l’altiste était personnalisée, de sorte à répondre à leur état d’agitation émotionnelle.
Des EEG et des électrocardiogrammes (ECG) ont été effectués avant, pendant, et après avoir écouté la musique en direct par appel vidéo. Après 40 minutes d’écoute, des enquêtes post-intervention ont été menées pour observer l’état émotionnel des patients (selon l’échelle de Likert). Le rapport de densité spectrale des ondes cérébrales alpha et bêta a été évalué par le biais d’une analyse de variation 20 minutes avant et après chaque intervention. À savoir que les ondes alpha traduisent un état de faible éveil, de repos et détente et sont réduites chez les personnes souffrant d’anxiété. En revanche, les ondes bêta caractérisent la réponse à une situation inattendue et à la surexcitation.
Après évaluation, les chercheurs ont constaté que lorsque les patients écoutaient l’alto, leurs ondes cérébrales ralentissaient jusqu’à atteindre un rythme plus calme. Lorsqu’ils regardaient la télévision ou naviguaient sur les réseaux sociaux avec leur téléphone, la fréquence de leurs ondes cérébrales était dans l’état bêta, soit 12 ou 13 Hertz en moyenne. En revanche, après avoir écouté l’altiste, cette fréquence tombait à 9 ou 8 Hertz (état alpha). Cette fréquence est observée dans les états méditatifs et indique un état d’apaisement significatif. Cela a été confirmé par l’autoévaluation des patients, signalant une diminution du sentiment de stress et d’anxiété après l’intervention musicale.
Toutefois, l’étude porte sur un échantillon de petite taille et ne permet pas de déterminer avec précision si le protocole est adapté à tous les cas d’épilepsie. Néanmoins, Bonakdarpour et son équipe prévoient prochainement d’étendre l’essai à une population plus vaste, incluant 30 à 50 patients. En outre, ces résultats suggèrent que la thérapie musicale pourrait aussi être appliquée en milieu hospitalier pour d’autres états pathologiques anxiogènes.
Vidéo montrant les effets de l’alto sur les patients :