Entraver l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde dans le cerveau reste la principale piste de traitement potentiel pour la maladie d’Alzheimer, malgré la controverse et la fraude récemment pointée du doigt concernant cette hypothèse. Cependant, les mécanismes induisant l’accumulation de cette protéine neurotoxique sont encore peu compris, expliquant probablement le peu d’efficacité des traitements actuellement disponibles. Une étude parue récemment dans la revue Brain a peut-être mis la main sur une nouvelle piste, notamment en découvrant une voie génétique insoupçonnée impliquée dans l’élimination de protéines neurotoxiques. Un antibiotique vétérinaire et un flavonoïde ont montré des résultats prometteurs pour stimuler cette voie chez des souris. Selon les chercheurs, la découverte pourrait non seulement appuyer les thérapies contre Alzheimer, mais aussi d’autres maladies dégénératives telles que Parkinson.
Après des décennies de recherches consacrées à la maladie d’Alzheimer, la majorité des chercheurs pensent que les symptômes de démence sont induits entre autres par l’accumulation de plaques amyloïdes dans le cerveau. Chez les malades, ces protéines censées être éliminées s’accumulent de façon anormale, entravant l’interconnexion neuronale. Comprendre les mécanismes de cette accumulation est depuis longtemps considéré comme étant la clé pour traiter la maladie, bien que selon de nouvelles recherches, l’accumulation de plaques amyloïdes puisse n’être que la pointe de l’iceberg.
Un phénomène génétique inhabituel
Au cours de leur étude, les scientifiques de l’Université de médecine de Washington (à Saint-Louis) ont détecté une forme inhabituelle d’une protéine cérébrale appelée aquapropine 4 (AQP4). Étrangement, cette dernière était synthétisée de sorte à avoir une sorte de cordon supplémentaire à son extrémité. « Nous étudiions cette question scientifique fondamentale très bancale — Comment les protéines sont-elles fabriquées ? — et nous avons remarqué cette chose amusante », raconte l’auteur principal de la nouvelle étude, Joseph D. Dougherty, professeur de génétique et de psychiatrie à l’Université de médecine de Washington.
Pensant que cette « queue » était un échec occasionnel dans le processus de synthèse protéinique, les chercheurs estimaient au départ qu’elle n’aurait aucune implication fonctionnelle importante. Mais de façon surprenante, ils ont découvert que la séquence était en réalité bien plus présente qu’ils ne le pensaient, notamment au niveau des structures protéiques clés pour l’élimination des déchets des neurones.
Des recherches antérieures avaient en effet déjà abordé le rôle de l’aquapropine 4 dans l’élimination de la bêta-amyloïde. Comme AQP4 est un canal hydrique principalement exprimé au niveau des astrocytes, il pourrait être impliqué dans de nombreuses maladies neurologiques. Bien que son rôle ne soit pas encore exactement précisé, il se pourrait qu’il soit, entre autres, impliqué dans la plasticité synaptique.
Les chercheurs ont observé que l’AQP4 « longue » est exclusivement présente au niveau des astrocytes (des cellules périvasculaires) et qu’elle fonctionne différemment de la forme habituelle. À savoir que les astrocytes sont responsables des échanges entre les neurones et la circulation sanguine. L’évacuation de protéines indésirables et autres déchets des neurones se déroule ainsi logiquement à leur niveau.
Deux composés thérapeutiques potentiels
Afin de déterminer l’implication de l’AQP4 longue dans la démence, les chercheurs ont observé deux modèles de souris distincts : un premier groupe où elle (la protéine) avait été désactivée et un deuxième groupe où l’aquapropine 4 normale était toujours active. Ils ont alors constaté que les souris avaient du mal à éliminer les protéines bêta-amyloïdes, dont l’élimination serait apparemment médiée par l’AQP4 longue.
En seconde étape, les chercheurs ont tenté d’augmenter l’expression de la protéine chez les souris afin de voir si la clairance (élimination) de la bêta-amyloïde pouvait être augmentée. Pour ce faire, 2560 composés différents ont été testés pour leur capacité à stimuler la synthèse de l’AQP4 longue. Les deux meilleures sont l’apigénine (un flavonoïde présent dans la camomille, le persil, l’oignon, …) et la sulfaquinoxaline, un antibiotique utilisé chez les animaux d’élevage.
Ces deux composés ont ensuite été administrés à des souris génétiquement modifiées (pour provoquer l’accumulation de niveaux élevés d’amyloïde dans le cerveau). Comparés à un placebo, ils ont permis aux souris d’éliminer beaucoup plus rapidement la protéine toxique. D’après les auteurs de l’étude, il existe des preuves selon lesquelles une réduction de 20 à 25% suffirait à stopper l’accumulation d’amyloïde chez les souris. Cette fourchette a pu être observée grâce à l’apigénine et la sulfaquinoxaline. Comme il s’agit d’intervenir au niveau de l’élimination de protéines toxiques, ces composés ont probablement un potentiel d’utilisation dans d’autres maladies neurodégénératives.
Toutefois, les chercheurs tiennent à souligner que la sulfaquinoxaline peut être dangereuse pour la santé humaine. Les recherches doivent encore être approfondies avant de pouvoir administrer et doser correctement les deux composés, qui pourraient agir différemment chez l’homme. Cependant, les scientifiques sont enthousiastes : « nous recherchons quelque chose qui pourrait être rapidement traduit en clinique », affirme Darshan Sapkota, directeur de la nouvelle étude et professeur adjoint de sciences biologiques à l’Université du Texas, à Dallas.