Depuis quelques années, la théorie de la cascade amyloïde, dominant depuis des décennies la compréhension des mécanismes biologiques engendrant la maladie d’Alzheimer, est gentiment remise en question. L’une des preuves jouant contre la célèbre théorie serait le manque d’efficacité des traitements, ces derniers visant à réduire l’accumulation des plaques amyloïdes. Récemment encore, des chercheurs ont découvert une autre preuve en montrant qu’Alzheimer serait plutôt causée par la diminution du taux de protéines bêta-amyloïdes solubles dans le cerveau. Cette perte affecterait davantage les fonctions cognitives que l’accumulation de plaques solides, et pourrait aussi s’appliquer au mécanisme de fonctionnement d’autres maladies neurodégénératives comme Parkinson.
Sous sa forme soluble — sa forme normale, la protéine bêta-amyloïde joue un rôle fondamental dans les mécanismes biomoléculaires régissant les fonctions cognitives. Sous l’effet du stress biologique, infectieux ou toxique, la protéine mute de façon anormale et s’agglomère sous forme de plaques. De ce phénomène découle la théorie de la cascade amyloïde, qui a fait pendant plusieurs décennies l’unanimité.
Cependant, selon les chercheurs de la nouvelle étude, parue dans le Journal Of Alzheimer’s Disease, nous accumulons pour la plupart des plaques amyloïdes à mesure que nous vieillissons, et ce sans que cela déclenche forcément de la démence. « Pourtant, les plaques restent au centre de notre attention en ce qui concerne le développement de biomarqueurs et les stratégies thérapeutiques », explique Alberto Epsay, co-auteur principal de l’étude et professeur de neurologie à l’UC College of Medicine, aux États-Unis.
La nouvelle piste découverte par les chercheurs se concentre davantage sur la diminution du taux d’amyloïde soluble, dont l’accumulation en plaques en serait probablement la conséquence. Les stratégies thérapeutiques visant à réduire ces dernières ont d’ailleurs démontré peu d’efficacité pour réduire les symptômes d’Alzheimer. Certains essais cliniques sur des traitements cherchant à réduire le taux d’amyloïde soluble (probablement afin de contrecarrer leur mutation) ont même démontré que l’état des patients s’aggravait.
« Je pense que c’est probablement la meilleure preuve que la réduction du niveau de la forme soluble de la protéine peut être toxique », estime Andrea Sturchio, également co-auteur principal de l’étude et instructeur de recherche adjoint à l’UC College of Medicine.
Plus d’amyloïde soluble, moins de risques de démence
Pour confirmer leur hypothèse, les chercheurs de la nouvelle étude ont recruté des patients qui présentaient des mutations protéiniques prédisant une surexpression des plaques amyloïdes. « L’un des arguments les plus solides en faveur de l’hypothèse de la toxicité de l’amyloïde était basé sur ces mutations », explique Sturchio.
Lors des expériences, les scientifiques ont remarqué que les patients présentant un niveau élevé de plaques amyloïdes, mais qui possédaient par contre des taux élevés de la forme soluble de la protéine, avaient des fonctions cognitives similaires à celles des personnes en bonne santé. Ces personnes courent notamment moins de risques de développer de la démence, sur une période de trois ans. Tant que le niveau de bêta-amyloïde soluble dans le cerveau est supérieur à 270 picogrammes par millilitre, les patients volontaires restaient en bonne santé, peu importe leur taux d’accumulation de plaques.
La découverte pourrait rapidement découler sur un traitement de secours
Pour le moment, les chercheurs de la nouvelle étude se concentrent sur les mécanismes qui pourraient induire une diminution d’amyloïdes solubles, dans le cerveau. Mais comme l’essentiel est de pouvoir en assurer un niveau élevé, on pourrait hypothétiquement en administrer en tant que traitement de secours. Toutefois, il faudrait s’assurer également qu’elles ne mutent pas pour former des plaques une fois injectées.
L’hypothèse pourrait également s’appliquer à d’autres maladies neurodégénératives dans lesquelles des protéines solubles interviennent également pour former des dépôts solides en mutant. « Nous préconisons que ce qui peut être plus significatif dans toutes les maladies dégénératives est la perte de protéines normales plutôt que la fraction mesurable de protéines anormales », suggère Espay. L’effet observable serait notamment une perte et non un gain, car le cerveau des malades rétrécit avec le temps.
La prochaine étape serait de décrypter les mécanismes engendrant la diminution de l’amyloïde soluble. Ils pourraient être induits par des virus, des toxines ou encore des processus génétiques. La compréhension de ces mécanismes profonds permettrait de développer des traitements plus ciblés et plus efficaces, sans besoin d’augmenter artificiellement le taux de la protéine. « En reconnaissant les sous-types biologiques, infectieux et toxiques de la maladie de Parkinson et de la maladie d’Alzheimer, nous disposerons de traitements spécifiques capables de ralentir la progression de la maladie », conclut Epsay.