On sait aujourd’hui que la maladie d’Alzheimer est caractérisée par des dépôts extracellulaires d’une protéine appelée bêta-amyloïde (Aβ) et des dépôts intracellulaires de protéines tau dans le cerveau. Ces lésions progressent au fil des années, causant peu à peu des troubles de la mémoire et des fonctions cognitives. Il est de plus en plus évident que l’irrigation sanguine du cerveau est également affectée par la maladie, mais on ignore encore de quelle manière. Des chercheurs de l’Université de Manchester ont peut-être enfin élucidé ce mystère.
La maladie d’Alzheimer, dont l’incidence augmente après 65 ans, est la forme de démence la plus fréquente chez la personne âgée. Près de 1,2 million de personnes pourraient être atteintes en France, selon les dernières estimations. Il n’existe aucun traitement contre cette maladie, mais la compréhension de ses mécanismes a bien progressé ces dernières années. La maladie résulte principalement de l’accumulation de la protéine bêta‑amyloïde, naturellement présente dans le cerveau, qui finit par former des dépôts toxiques pour les cellules nerveuses.
Mais selon une récente étude de l’Université de Manchester, la maladie serait également associée à certaines modifications des vaisseaux sanguins dans le cerveau, ce qui pourrait ouvrir la voie au développement de nouveaux médicaments permettant d’arrêter la progression de la maladie. « À ce jour, plus de 500 médicaments ont été testés […]. Tous ont ciblé les nerfs du cerveau et aucun d’entre eux n’a réussi. En montrant exactement comment la maladie d’Alzheimer affecte les petits vaisseaux sanguins, nous avons ouvert la porte à de nouvelles pistes de recherche pour trouver un traitement efficace », a déclaré le Dr Adam Greenstein, co-auteur de l’étude.
Une forme spécifique de bêta‑amyloïde qui touche les artères cérébrales
Les maladies des petits vaisseaux cérébraux sont de plus en plus reconnues comme des contributeurs importants au déclin fonctionnel et cognitif des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. La surface du cerveau est couverte de petites artères, appelées « artères piales », qui contrôlent l’approvisionnement du cerveau en sang et en oxygène. Cette microcirculation remplit deux fonctions clés : le maintien du flux sanguin face aux changements instantanés de la pression artérielle et l’augmentation localisée du flux sanguin en fonction de l’activité neuronale.
Or, si ces artères se rétrécissent pendant trop longtemps, elles ne peuvent plus réguler le flux sanguin et le cerveau ne reçoit pas suffisamment de nutriments. L’angiopathie amyloïde cérébrale est une forme particulière de maladie des petites artères cérébrales. Elle résulte de dépôts amyloïdes dans la paroi des petits et moyens vaisseaux cérébraux. Ce trouble, fréquent chez le sujet âgé, est fortement associé à la maladie d’Alzheimer. C’est l’une des causes de la perte de mémoire observée chez les personnes atteintes de la maladie.
Le Dr Greenstein et ses collègues ont donc testé l’hypothèse selon laquelle la surexpression de la protéine bêta‑amyloïde dans la maladie d’Alzheimer aurait un impact direct sur la fonction des artères cérébrales. Ils ont découvert qu’une version plus petite de la protéine, nommée bêta‑amyloïde 1-40 (Aβ 1-40), s’accumulait spécifiquement dans les parois des petites artères, réduisant ainsi le flux sanguin vers le cerveau.
Une protéine qui provoque une réduction de la vasodilatation
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé un modèle de souris présentant une expression de la protéine précurseur de l’amyloïde sept fois supérieure à la normale — conduisant à un phénotype cérébrovasculaire se rapprochant de celui des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et d’angiopathie amyloïde cérébrale. Les chercheurs ont examiné de près les artères piales des rongeurs.
Ils ont constaté qu’elles produisaient trop d’Aβ1-40 et présentaient une constriction significativement plus importante par rapport aux souris saines de même âge. Ce rétrécissement des artères était dû à la désactivation par Aβ 1-40 d’un canal potassique activé par le calcium (nommé BK), dans les cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins. Les canaux BK sont impliqués dans de nombreux processus physiologiques ; ils contribuent notamment à réguler l’excitabilité neuronale et les rythmes circadiens.
L’activité du canal BK est médiée par la libération d’ions calcium (ce que l’on appelle « l’étincelle calcique »). Lorsqu’il fonctionne normalement, le canal potassique envoie un signal qui provoque l’élargissement des artères. Mais lorsque les chercheurs ont exposé des artères cérébrales de jeunes souris saines à des peptides Aβ(1-40), ces derniers ont perturbé le mécanisme vasorégulateur du canal BK, récapitulant partiellement le phénotype de dysfonctionnement des artères de résistance observé chez les modèles murins d’Alzheimer. En d’autres termes, l’Aβ 1-40 a entraîné une réduction de la fréquence de l’étincelle calcique, ce qui a bloqué les signaux du canal et provoqué le rétrécissement des artères.
L’équipe prévoit à présent d’identifier la partie de l’Aβ 1-40 responsable de ce blocage, afin que des médicaments empêchant ce phénomène puissent être développés et testés en tant que traitement pour prévenir la progression de la maladie d’Alzheimer. « Cette recherche constitue une étape importante dans notre compréhension de la maladie d’Alzheimer. Plus d’un demi-million de personnes au Royaume-Uni vivent avec cette maladie, et ce nombre est appelé à augmenter avec le vieillissement de la population. Ces résultats pourraient conduire à un traitement désespérément nécessaire pour cette maladie dévastatrice », a déclaré le professeur Metin Avkiran, Directeur médical associé de la British Heart Foundation.