Une étude révèle que le lemborexant, un somnifère courant commercialisé sous le nom de Dayvigo, semble exercer un effet neuroprotecteur en limitant l’accumulation toxique de la protéine tau – un biomarqueur important des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer. Ce mécanisme a permis de réduire l’inflammation cérébrale chez des souris de laboratoire, de préserver le volume de leur hippocampe, région clé dans la consolidation des souvenirs, tout en améliorant la qualité de leur sommeil.
Dans sa forme physiologique, la protéine tau joue un rôle fondamental dans le soutien de l’architecture neuronale. Elle assure la stabilité des microtubules, notamment grâce à l’ajout contrôlé de groupes phosphates. Lorsque ces marqueurs chimiques sont trop nombreux, la protéine se déstructure, formant des enchevêtrements toxiques qui déclenchent une inflammation du tissu cérébral et conduisent à une dégénérescence neuronale.
Ce phénomène d’accumulation de tau sous une forme pathologique est impliqué dans un ensemble de maladies connues sous le nom de « tauopathies », parmi lesquelles figurent la maladie d’Alzheimer, la paralysie supranucléaire progressive, la maladie de Pick, le syndrome corticobasal ou encore certaines formes de démence frontotemporale. La majorité des approches thérapeutiques en cours de développement visent à éliminer soit les agrégats de protéine tau, soit les plaques d’amyloïde, une autre protéine associée à la neurodégénérescence.
Toutefois, l’efficacité de ces traitements reste modeste. « Les anticorps anti-amyloïde que nous utilisons actuellement pour traiter les patients atteints de démence d’Alzheimer légère et précoce sont utiles, mais ils ne ralentissent pas la maladie autant que nous le souhaiterions », souligne dans un communiqué David M. Holtzman, professeur de neurologie à la faculté de médecine de l’Université de Washington.
Des travaux antérieurs ont établi un lien étroit entre la qualité du sommeil et l’accumulation des protéines tau et amyloïde au sein des neurones. Des expériences menées sur des souris génétiquement modifiées ont ainsi montré que le manque de sommeil favorisait cette accumulation. Ce déficit est d’ailleurs considéré de longue date comme un facteur de risque majeur de la maladie d’Alzheimer et d’autres formes de démence.
Dans une étude récemment parue dans la revue Nature Neuroscience, l’équipe de David Holtzman a examiné les effets du lemborexant, un somnifère qui agit précisément sur les zones cérébrales les plus vulnérables à l’accumulation anormale de tau. Contrairement à d’autres hypnotiques, il n’altère pas la coordination motrice, un effet indésirable courant chez les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs.
« Nous avons besoin de moyens pour réduire l’accumulation anormale de protéine tau et l’inflammation qui l’accompagne, et ce type d’aide au sommeil mérite d’être étudié plus en détail », affirme Holtzman. « Nous cherchons à savoir si une combinaison de traitements ciblant à la fois l’amyloïde et la protéine tau pourrait être plus efficace pour ralentir, voire stopper, la progression de la maladie », ajoute-t-il.
Des volumes de l’hippocampe 30 à 40 % plus importants
L’étude a été conduite en partenariat avec le laboratoire pharmaceutique japonais Eisai, qui a fondé en 2022 un département spécifiquement dédié à la prévention et au traitement de la maladie d’Alzheimer, de la maladie de Parkinson et d’autres pathologies neurodégénératives. Une partie de ses recherches vise à évaluer le potentiel de réutilisation de médicaments déjà approuvés pour des indications nouvelles.
Le lemborexant figure parmi les trois somnifères validés par la Food and Drug Administration (FDA) américaine qui inhibent l’activité de l’orexine, une neuropeptide jouant un rôle crucial dans la régulation du cycle veille-sommeil. Le médicament agit en bloquant les deux récepteurs de l’orexine, qui influencent également l’appétit et divers processus physiologiques. Ces antagonistes sont aussi étudiés pour leur éventuelle efficacité contre certains troubles dépressifs.
Pour valider leur hypothèse, les chercheurs ont administré le lemborexant à des souris génétiquement modifiées pour développer une accumulation pathologique de tau. Un autre groupe a reçu du zolpidem (connu sous le nom commercial d’Ambien), un somnifère qui cible le neurotransmetteur GABA, et sur lequel le lemborexant n’a aucun effet. Un troisième groupe servait de témoin.
Les souris traitées au lemborexant présentaient nettement moins de lésions cérébrales que celles traitées au zolpidem ou que celles du lot témoin. Leur hippocampe affichait un volume supérieur de 30 à 40 %. La perte de volume dans cette région est généralement corrélée à une progression de la neurodégénérescence. Si le zolpidem a permis d’améliorer la qualité du sommeil, il n’a exercé aucun effet mesurable sur les agrégats de protéine tau, contrairement au lemborexant.
Cela laisse penser que les effets neuroprotecteurs pourraient être liés au blocage des récepteurs de l’orexine. Des analyses supplémentaires ont révélé que cette inhibition empêchait l’ajout excessif de groupes phosphates à la protéine tau, réduisant ainsi son enchevêtrement et sa toxicité. Ce point reste à confirmer par des travaux ultérieurs.
Des effets bénéfiques uniquement chez les mâles
Fait notable : les effets observés du lemborexant se sont limités aux souris mâles. Les scientifiques avancent l’hypothèse que les femelles, bien qu’ayant une prédisposition génétique identique à l’accumulation de tau, développent une forme de neurodégénérescence moins sévère. En raison de lésions initiales moindres, les effets positifs du traitement seraient plus discrets, voire indétectables.
L’équipe de recherche prévoit d’examiner de manière approfondie les facteurs pouvant expliquer ces différences selon le sexe. « Nous espérons que cette découverte conduira à de nouvelles études sur ce somnifère et à la mise au point de traitements potentiellement plus efficaces que les options actuelles, seuls ou en association avec d’autres thérapies disponibles », conclut David Holtzman.