Lentement, l’Amérique du Nord s’enfonce dans le manteau terrestre, selon une étude récente

Cartographié en temps réel pour la première fois, ce phénomène révèle les profondeurs instables du continent nord-américain.

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Une analyse sismologique révèle que la plaque continentale nord-américaine s’effrite progressivement, sous l’effet d’une ancienne plaque tectonique enfouie sous le Midwest, laquelle entraînerait lentement les roches situées au-dessus. Ce phénomène, désigné sous le nom d’« amincissement cratonique », correspond à un processus d’érosion de la croûte continentale : des morceaux de roche en sont détachés pour glisser vers le manteau terrestre. Bien qu’il s’inscrive généralement dans une temporalité de plusieurs milliards d’années, c’est la première fois qu’il est cartographié en temps réel.

Les cratons désignent des plaques continentales très anciennes – antérieures au Protérozoïque – qui constituent environ 60 % de la lithosphère continentale. Ils se caractérisent par une croûte épaisse, atteignant parfois plus de 200 kilomètres de profondeur. Les archives géologiques attestent de leur grande stabilité, certains subsistant depuis des milliards d’années.

Mais cette stabilité n’est pas absolue. Il arrive que des bouleversements géologiques viennent altérer ces structures, jusqu’à provoquer l’effondrement de couches entières de roche. Le craton de la Chine du Nord, par exemple, a vu sa racine lithosphérique disparaître au cours du Mésozoïque – entre 252 et 66 millions d’années –, suggérant que la stabilité de ces structures peut être compromise sous certaines conditions géodynamiques. Plusieurs mécanismes peuvent être à l’origine d’un tel affaissement, comme le déplacement convectif dans le manteau terrestre ou l’érosion induite par la fusion des roches à la base des plaques.

Or, les cas documentés jusqu’à présent proviennent exclusivement d’épisodes géologiques passés. Cela rend difficile la compréhension des effets actuels de tels changements sur les autres plaques continentales. À ce titre, le continent nord-américain offre un laboratoire naturel idéal pour l’observation du comportement présent des cratons. Le noyau continental de cette région est en effet constitué de plusieurs cratons anciens ainsi que d’arcs volcaniques, formés par la subduction d’une plaque océanique sous une plaque continentale ou une autre plaque océanique, tous accumulés durant le Protérozoïque, dernier éon du Précambrien.

Bien que la plupart des régions cratoniques du continent se soient stabilisées au cours de cette période, certaines présentent encore des signes d’évolution, témoignant de changements en cours. C’est précisément ce qu’a mis en évidence une équipe de géoscientifiques de l’Université du Texas à Austin. Leur étude confirme que des transformations affectent aujourd’hui la plaque continentale appelée Farallon. Enfouie sous le Midwest américain, cette ancienne plaque semble provoquer un amincissement généralisé de la croûte.

« Nous avons observé qu’il pourrait y avoir quelque chose sous le craton », explique Junlin Hua, auteur principal de cette étude publiée dans la revue Nature Geosciences, dans un communiqué. « Heureusement, nous avons également acquis une nouvelle idée des causes de cet amincissement », poursuit-il.

Une ancienne plaque continentale entraînant les roches vers le manteau

La plaque Farallon et la plaque nord-américaine formaient autrefois une zone de subduction le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord : la première glissait alors sous la seconde, entraînant des matériaux vers l’intérieur du manteau terrestre. Mais Farallon s’est progressivement disloquée il y a entre 20 et 25 millions d’années, en raison de l’avancée de la plaque océanique pacifique. L’un des fragments résultant de cette fragmentation chevauche aujourd’hui la limite entre la zone de transition du manteau et le manteau inférieur, à environ 660 kilomètres de profondeur.

Selon les chercheurs, l’attraction exercée par ce fragment de Farallon provoquerait l’entraînement vers le manteau d’énormes pans de la croûte nord-américaine. Ce processus d’amincissement cratonique générerait des gouttes géantes de roche, aspirées dans une zone d’écoulement similaire à un gigantesque entonnoir, jusqu’à une profondeur de 640 kilomètres. Ces masses rocheuses seraient situées sous une zone s’étendant du Michigan au Nebraska, en passant par l’Alabama. Leur écoulement aurait toutefois des répercussions à l’échelle de l’ensemble du continent.

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Graphique montrant les écoulements rocheux du craton. Les chercheurs émettent l’hypothèse que ces écoulements sont causés par les vestiges de la plaque Farallon en subduction sous le craton. © Hua et al.

Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont eu recours à une technique d’imagerie sismique de haute résolution, appelée « tomographie de forme d’onde complète ». Cette méthode consiste à analyser divers types d’ondes sismiques afin de reconstituer les propriétés physiques du sous-sol. « Grâce à l’utilisation de cette méthode de forme d’onde complète, nous avons une meilleure représentation de cette zone importante entre le manteau profond et la lithosphère moins profonde, où nous nous attendrions à obtenir des indices sur ce qui se passe avec la lithosphère », explique Thorsten Becker, coauteur de l’étude.

Pour affiner leurs résultats, les scientifiques ont également réalisé des simulations informatiques modélisant l’impact de la plaque Farallon sur le craton situé au-dessus. Celles-ci ont confirmé que l’écoulement sismique observé se manifeste uniquement en présence de la plaque : il disparaît en son absence. Malgré une distance de plus de 600 kilomètres, cette dernière exercerait donc toujours une force gravitationnelle modélisée, susceptible d’influencer la stabilité de la croûte continentale.

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Les ondes sismiques traversent les formations géologiques à des vitesses variables. Cette carte illustre la vitesse sismique dans la croûte terrestre à 200 kilomètres de profondeur, sur le territoire continental des États-Unis et dans certaines parties de l’Amérique centrale et du Canada. Le craton nord-américain (encadré en pointillés noirs) présente une vitesse sismique élevée par rapport à son environnement. © Hua et al.

Les chercheurs tiennent cependant à rassurer : l’amincissement du Midwest n’annonce aucun cataclysme imminent. Il pourrait certes affecter l’évolution tectonique à très long terme, mais il ne devrait entraîner aucune modification perceptible en surface à court terme. De surcroît, l’écoulement géologique devrait ralentir progressivement, à mesure que les restes de Farallon s’enfoncent davantage dans le manteau terrestre, perdant ainsi leur influence sur la croûte sus-jacente.

Cette découverte représente un jalon important pour l’étude de l’évolution des continents au fil des éons. « Ce type de données est essentiel pour mieux comprendre l’évolution d’une planète sur le long terme. Cela nous aide à saisir comment les continents se forment, se désagrègent, puis se recyclent [dans les profondeurs de la Terre] », conclut Becker.

Source : Nature Geoscience

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