Entre 1950 et 2024, la population de centenaires est passée d’environ 23 000 à plus de 930 000, érigeant ce groupe en la catégorie démographique à la croissance la plus rapide à l’échelle mondiale. Pourtant, les mystères entourant cette longévité exceptionnelle demeurent insaisissables pour la communauté scientifique, alimentant une fascination persistante. Quelques milliardaires ont investi dans la recherche sur le vieillissement, espérant voir émerger des traitements novateurs dans un avenir proche. Les travaux récents d’une équipe de chercheurs pourraient nous permettre de mieux comprendre cette longévité exceptionnelle. En analysant les marqueurs biologiques présents dans le sang de dizaines de milliers de centenaires, ils ont identifié des caractéristiques communes.
Des recherches antérieures avaient déjà révélé que les centenaires jouissent, dès le début de leur existence, d’une moindre prévalence de handicaps et de meilleures fonctions cognitives comparées à leurs homologues non-centenaires. Dans une étude publiée dans la revue GeroScience, des scientifiques du Karolinska Institutet se sont attelés à déchiffrer les clés de cette longévité et de ce vieillissement quasi exempt de maladies.
Ils soupçonnaient notamment une interaction complexe entre des facteurs liés au mode de vie, la santé métabolique et les prédispositions génétiques. Pour vérifier si cette interaction était discernable dans le sang, l’équipe a comparé les biomarqueurs des centenaires avec ceux de leurs pairs à l’espérance de vie plus réduite. L’objectif était de mettre en lumière le lien entre certains marqueurs biologiques et la probabilité d’atteindre ou dépasser le siècle de vie.
44 636 personnes suivies sur 35 ans
Dans le cadre de leur étude, les scientifiques ont exploité les données d’un vaste échantillon de 44 636 Suédois, tous participants de la cohorte AMORIS (Apolipoprotein-related MOrtality RISk). Ces individus avaient subi divers tests cliniques de routine entre 1985 et 1993 au laboratoire central d’automatisation de Stockholm.
Les registres ont permis aux chercheurs de suivre l’évolution de leurs biomarqueurs sur une période de 35 ans. Parmi cet échantillon, 1 224 personnes ont franchi le cap des 100 ans, avec une majorité écrasante de femmes (85 %). Selon le Dr Shunsuke Murata, chercheur postdoctoral au Karolinska Institutet et auteur principal de l’étude, cette recherche est une des premières à explorer les biomarqueurs associés à la longévité dans une cohorte d’une telle ampleur.
Les chercheurs ont analysé 12 biomarqueurs chez les participants. Ils précisent dans leur étude : « Nous avons examiné les biomarqueurs du métabolisme, de l’inflammation, des fonctions hépatiques et rénales, ainsi que ceux liés à l’anémie et à l’état nutritionnel, à l’aide de statistiques descriptives, de régression logistique et d’analyse de clusters ».
Parmi les marqueurs étudiés figuraient l’acide urique, indicateur d’inflammation, le cholestérol et le glucose pour les fonctions métaboliques, la créatinine pour la santé rénale, ainsi que le fer et le TIBC (capacité de fixation du fer) pour l’anémie. Ils ont également scruté l’albumine, indicateur nutritionnel. En ce qui concerne les marqueurs hépatiques, les chercheurs se sont penchés sur l’alanine aminotransférase, l’aspartate aminotransférase, la phosphatase alcaline, la gamma-glutamyl transférase et le lactate déshydrogénase.
Les résultats ont montré que les centenaires affichaient des taux de glucose, d’acide urique et de créatinine inférieurs à ceux de leurs pairs moins longévifs dès l’âge de 60 ans. Les chercheurs ont noté que, parmi les 12 biomarqueurs, seuls l’Alat et l’albumine n’étaient pas corrélés à la probabilité d’atteindre 100 ans. « Des taux plus élevés de cholestérol total et de fer, et des taux plus faibles de glucose, de créatinine, d’acide urique, d’aspartate aminotransférase, de gamma-glutamyl transférase, de phosphatase alcaline, de lactate déshydrogénase et de capacité totale de liaison du fer étaient associés à l’atteinte de l’âge de 100 ans », rapportent les auteurs.
L’étude souligne que ceux affichant des niveaux élevés de cholestérol et de fer avaient plus de chances de devenir centenaires, tout comme ceux avec de faibles taux de glucose, d’acide urique, d’enzymes hépatiques et de créatinine. « Même si les différences observées étaient globalement modestes, elles suggèrent un lien potentiel entre la santé métabolique, la nutrition et une longévité exceptionnelle », confie à The Guardian Karin Modig, professeure au Karolinska Institutet et co-autrice de l’étude.
Toutefois, les chercheurs admettent que des facteurs clés comme l’alimentation et la consommation d’alcool n’ont pas été pris en compte. « Surveiller vos valeurs rénales et hépatiques, ainsi que votre glycémie et votre taux d’acide urique en vieillissant, n’est probablement pas une mauvaise idée », conclut Modig.