Une étude suggère que les animaux peuvent s’épanouir au sein d’environnements urbains en développant une capacité accrue à évaluer les risques. En analysant le comportement de quiscales à longue queue vivant dans des villes, des chercheurs ont découvert que les mâles font preuve d’une capacité d’apprentissage supérieure (par rapport aux femelles et surtout, aux individus non urbains) et adoptent des stratégies spécifiques basées sur les risques pour la recherche de nourriture. L’étude offre ainsi un aperçu unique de la manière dont les animaux s’adaptent pour coexister avec les humains.
La dispersion et l’expansion de l’aire de répartition d’une espèce dépendent de différents facteurs, tels que le taxon, le sexe et la modification de leurs habitats naturels par les activités humaines. Parallèlement à ces facteurs, la cognition contribuerait également à la capacité des espèces à occuper de nouveaux espaces. En effet, les nouveaux environnements présentent inévitablement de nouveaux défis, tels que la présence de prédateurs et l’accessibilité restreinte aux ressources. Ces défis sont particulièrement accentués au sein d’environnements urbains, qui sont à la fois caractérisés par une certaine stabilité et des imprévisibilités.
Par exemple, dans les milieux urbanisés, certains ménages disposent régulièrement de la nourriture et construisent des abris pour les oiseaux. Ces facteurs sont positivement corrélés à une augmentation de la population d’oiseaux. Cependant, la disponibilité de ces ressources est aussi accompagnée de perturbations anthropiques imprévisibles, telles que le trafic automobile et aérien, la présence d’animaux de compagnie et d’individus perturbateurs. Cela suggère que les populations vivant dans ces milieux apprennent plus facilement de nouvelles stratégies d’adaptation pour la recherche de nourriture et d’abris, que celles rurales.
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Cependant, « comprendre comment et pourquoi des espèces particulières habitent avec succès des environnements urbains apparemment stables, mais stochastiques, reste une question ouverte et d’actualité », suggèrent deux chercheurs de l’Institut Max Planck et de l’Université technique de Berlin dans leur nouvelle étude, récemment publiée dans la revue eLife. Dans le cadre de cette dernière, les experts ont testé l’hypothèse selon laquelle les différences entre les sexes en matière de dispersion sont liées aux différences entre les sexes en matière d’apprentissage, chez un envahisseur urbain particulier : le quiscale à longue queue (Quiscalus mexicanus). En d’autres termes, l’objectif de la recherche était de déterminer si le sexe joue un rôle médiateur dans l’apprentissage chez ces oiseaux.
Une capacité d’apprentissage supérieure chez les mâles
Les quiscales à longue queue sont d’excellents modèles d’étude pour la corrélation entre la dispersion urbaine basée sur le sexe et la capacité d’apprentissage. En effet, les archives ont montré qu’au cours des 150 dernières années, la répartition écologique de ces oiseaux a considérablement évolué pour inclure des environnements urbains diversifiés. Partant initialement d’Amérique centrale, leur aire de répartition s’étend désormais sur une grande partie des États-Unis, jusqu’au Canada.
Dans le cadre de la nouvelle étude, les chercheurs ont observé le comportement de 32 quiscales mâles et 17 femelles, issus de 3 populations naturelles distinctes et temporairement placées en captivité. Les oiseaux ont été testés pour la vitesse à laquelle ils apprenaient où la nourriture était cachée. Puis, les emplacements de la nourriture ont été changés afin d’examiner la rapidité avec laquelle les oiseaux réapprenaient à la trouver.
Il a été constaté que chez les trois populations, les mâles identifiaient et mémorisaient beaucoup plus rapidement les nouveaux emplacements que les femelles. « Ce résultat robuste signifie que les quiscales mâles sont des butineurs plus efficaces dans des environnements incertains », explique dans un communiqué de l’Institut Max Planck Alexis Breen, auteur principal de la recherche. « Contrairement aux femelles, les mâles font preuve d’un apprentissage prononcé et sensible au risque. Autrement dit, les mâles font très attention au lieu identifié comme source de nourriture et ils s’en tiennent à se nourrir à partir de cet endroit, au lieu de parier sur l’exploration d’un autre endroit », a ajouté son collègue, Dominique Deffner.
Selon les experts, cette différence entre les sexes a un rôle biologique précis. En effet, chez les quiscales à longue queue, ce sont les mâles qui partent en éclaireurs pour explorer de nouveaux territoires et en évaluer les avantages. En d’autres termes, ils dirigent la colonisation urbaine de l’espèce. En tant que tels, ils doivent procéder avec davantage de prudence au cours de leurs explorations. Ensuite, les femelles arrivées plus tard peuvent, elles aussi, surmonter les mêmes défis en apprenant des mâles déjà établis sur le territoire.
Une meilleure stratégie pour la cohabitation avec les humains
Dans une seconde partie de l’étude, les chercheurs ont effectué une modélisation informatique pour examiner les types de stratégies d’apprentissage efficaces au sein d’environnements imprévisibles de type urbain. Au cours de la simulation, les oiseaux devaient apprendre à trouver de la nourriture. La stratégie d’apprentissage déterminait la quantité « récupérée », et cette quantité déterminait à son tour les chances d’engendrer une progéniture qui pourrait en tirer les mêmes apprentissages.
Au fil des générations, les groupes montrant la meilleure stratégie d’apprentissage finissaient par dominer l’environnement urbain. En outre, « étonnamment, en période d’incertitude, nous avons constaté que les apprenants sensibles aux risques étaient plus susceptibles de dominer les apprenants utilisant d’autres stratégies », indique Breen. Ces résultats suggèrent que ces apprenants sensibles au risque, comme les quiscales mâles, sont mieux adaptés pour faire face à des environnements imprévisibles.
Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que l’apprentissage en fonction des risques constitue la meilleure stratégie pour la colonisation de nouveaux habitats modifiés par l’Homme. « Ce qui est important, c’est que ces ‘gagnants’ nous donneront une idée de la façon dont les animaux en général peuvent prospérer dans l’Anthropocène », suggère Deffner. Afin de soutenir les futures études sur la cohabitation des animaux avec les humains, les chercheurs ont créé un référentiel en ligne que d’autres experts peuvent consulter librement, incluant leurs outils de modélisation.