Le manque de données cartographiques des fonds marins autour de l’Antarctique constitue un obstacle majeur à la compréhension des processus océaniques de l’ensemble de la planète. En plaçant des traceurs GPS sur des phoques, des chercheurs ont amélioré la précision de 22 à 60% des données bathymétriques sur quatre régions locales. Les animaux ont également permis de découvrir un nouveau canyon sous-marin allant jusqu’à 2200 mètres de profondeur, près du glacier Vanderford au sud-est du continent.
Malgré les avancées en matière de technologies océaniques, seuls 23% des fonds marins ont été cartographiés avec précision au niveau mondial. Les données cartographiques de la plupart des régions sous-marines ne montrent que des profondeurs approximatives et omettent parfois des monts et canyons entiers. La bathymétrie (mesure de la topographie du sol marin) autour de l’Antarctique est la moins connue, en raison de son éloignement et de l’étendue de surfaces emprisonnées dans la glace. Cela implique que des zones considérables, à la fois marines et continentales, sont largement sous-étudiées.
Une cartographie précise des fonds marins autour de l’Antarctique est notamment essentielle à la fois pour la physique et la biologie. La bathymétrie joue par exemple un rôle clé dans le calcul du débit des glaciers et permettrait ainsi de quantifier les pertes présentes et à venir. L’identification des dépressions (ou creux) au niveau du fond marin permet de déterminer la direction des courants chauds profonds, influençant les taux de fonte des glaciers. Ces données pourraient non seulement améliorer les mesures climatiques liées aux courants océaniques, mais également d’en comprendre l’influence sur la vie marine.
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De récentes compilations de données ont montré que de vastes régions de la calotte glaciaire de l’est de l’Antarctique se trouvent en dessous du niveau de la mer. Cela a une importante implication pour leur stabilité, car les régions immergées sont plus vulnérables aux courants marins chauds. Une bathymétrie plus précise permettrait d’améliorer les modélisations des échanges de masses d’eau sous la banquise.
Cependant, les zones à cartographier sont particulièrement difficiles d’accès. Pour surmonter cette difficulté, une équipe d’océanographes de l’Université de Tasmanie a fait appel à des phoques — des plongeurs hors pair en eaux profondes. Ces mammifères marins peuvent rester jusqu’à 70 minutes sous l’eau et plonger à plus de 1600 mètres de profondeur pour certaines espèces. Dans le cadre de leur nouvelle étude, les chercheurs ont placé des traceurs GPS sur quelques spécimens d’éléphants de mer du sud (qui font partie de la famille des phoques) et ont retracé leurs trajectoires de plongée. Les résultats sont détaillés dans la revue Communications Earth & Environnement.
Gain de précision et découverte d’un canyon sous-marin
De précédentes recherches ont démontré que les phoques benthiques équipés d’enregistreurs de données (salinité, température, profondeur, …) peuvent collecter de précieuses informations lorsqu’ils plongent pour se nourrir. Ils peuvent couvrir de vastes étendues marines et plonger en toute sécurité dans des zones trop risquées pour des plongeurs humains (sous la banquise par exemple). Ils peuvent ainsi compléter les données bathymétriques existantes en embarquant des traceurs GPS. Cependant, cette technique comporte un certain nombre de limites associées notamment aux estimations de l’emplacement des phoques.
En effet, la plupart des estimations — y compris celles de la présente étude — sont basées sur ARGOS, un système mondial de localisation et de collecte de données géo-positionnées par satellite. Bien qu’il permette de localiser les balises n’importe où à la surface de la Terre (avec une résolution d’environ 150 mètres), ce système peut introduire des décalages entre les profondeurs estimées et l’emplacement exact des animaux. Néanmoins, le grand nombre de plongées des phoques et la comparaison avec les données bathymétriques existantes peuvent pallier ces problèmes et fournir ainsi des informations solides.
Dans le cadre de l’étude, les chercheurs australiens ont recruté 25 éléphants de mer du sud (Mirounga leonina), qui ont au total effectué plus de 500 000 plongées autour du glacier de Vanderford, dans la baie de Vincennes (au sud-est du continent). Il a été constaté qu’environ 25% des plongées étaient situées entre 220 et 1000 mètres de profondeur, soit 25 mètres plus profond que la dernière grille bathymétrique établie par l’International Bathymetric Chart of the Southern Ocean (IBCSO). Cela signifie qu’à certains endroits, les animaux ont plongé plus profondément que ce qui aurait dû être possible selon les anciennes cartes.
Dans un deuxième temps, les chercheurs ont sélectionné quatre sous-régions bien échantillonnées et ont comparé les données obtenues avec celles des anciennes cartes. Ils ont constaté qu’en incorporant les données de plongée des phoques, la bathymétrie de 22 à 60% des zones a été remarquablement améliorée.
Les plus grands écarts de profondeur avec les données IBCSO concernent le front du glacier Vanderford. Cela a notamment mis au jour un profond canyon jamais cartographié jusqu’à présent, s’étendant au nord-ouest du glacier. En scannant le canyon par le biais du réseau de sonars du navire de recherche RSV Nuyina (observations multifaisceaux), une profondeur allant jusqu’à 2200 mètres a été mesurée. Le nouveau canyon a été baptisé Mirounga-Nuyina, en l’honneur du groupe d’éléphants de mer qui ont permis sa découverte et du bateau.
Les prochains travaux devraient se concentrer sur les moyens de surmonter les limites liées au déplacement des phoques, en utilisant par exemple des traceurs GPS plus précis et en analysant leurs profils de plongée. Cela permettrait de suivre leurs mouvements avec plus de précision et de déterminer s’ils ont vraiment atteint les limites du canyon ou non. Étant donné sa taille approximative, ce dernier pourrait notamment jouer un rôle essentiel dans la vitesse de fonte du glacier Antarctique.