Une étude a montré que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), des médicaments antidépresseurs courants, peuvent à la fois améliorer l’humeur et certaines fonctions cognitives, telles que la mémoire verbale. Cette amélioration serait liée à une diminution des changements dans les récepteurs de la sérotonine 5HT4R. Cela suggère que ce récepteur spécifique pourrait être une cible potentiellement prometteuse pour le traitement de certains troubles cognitifs, indépendamment de la dépression.
Agissant spécifiquement sur le système sérotoninergique, les ISRS constituent actuellement le traitement pharmacologique de première intention de la dépression. La maladie est notamment liée à un déficit de sérotonine, un neurotransmetteur clé responsable de la sensation de bien-être. Chez les personnes souffrant de dépression, la molécule est excessivement recapturée par les neurones pré-synaptiques, ce qui empêche son activation au niveau des neurones post-synaptiques. Les ISRS inhibent ce processus de recapture et permettent ainsi aux neurotransmetteurs de subsister plus longtemps au niveau de la fente synaptique.
Cependant, la véritable implication de la sérotonine dans l’étiologie de la dépression est depuis peu remise en question, certains patients réagissant positivement aux ISRS tandis que d’autres non. Il a été suggéré que cela pourrait être dû au fait que certains patients diagnostiqués appartiennent à des sous-groupes au sein desquels les mécanismes physiopathologiques de la maladie sont différents.
D’autre part, il a également été suggéré que le système sérotoninergique pourrait être déficient chez certaines personnes, ce qui impliquerait qu’elles soient moins réceptives aux ISRS. En outre, la plupart des études cliniques n’utilisent pas de placebo pour des raisons éthiques, ce qui réduit la certitude quant à l’efficacité réelle des ISRS pour le traitement de la maladie.
D’un autre côté, parmi les symptômes les plus invalidants de la dépression figurent les dysfonctionnements cognitifs, y compris une perturbation de la mémoire verbale (la capacité à se souvenir des mots). De précédentes études ont montré que cela est corrélé à l’activation réduite des récepteurs cérébraux de la sérotonine de type 4 (5HT4R) chez les personnes souffrant de dépression majeure. Cela suggère que les ISRS pourraient aussi avoir des effets bénéfiques sur ces symptômes cognitifs. Une nouvelle étude, récemment présentée au 37e congrès de l’European College of Neuropsychopharmacology Conference (ECNP), explore plus avant cette corrélation.
Traiter les troubles cognitifs indépendamment de la dépression
L’enquête — détaillée dans la revue Biological Psychiatry — incluait 90 patients souffrant de dépression modérée à sévère, chez lesquels les effets de l’escitalopram (un ISRS) ont été évalués. Pour ce faire, l’équipe a effectué des scanners cérébraux et des tests d’évaluation de l’humeur et des fonctions cognitives avant et après le traitement. Chaque participant a reçu une dose quotidienne du médicament pendant 8 semaines (donc pas de groupe placebo). Une autre analyse a également été effectuée sur 40 patients afin d’évaluer leurs niveaux d’activation des récepteurs 5HT4R à la 8e et à la 12e semaine de traitement.
Les chercheurs ont constaté que non seulement l’humeur des patients s’était généralement améliorée après le traitement, mais aussi que le taux de liaison des récepteurs 5HT4R avait chuté d’environ 9 %, probablement en raison d’une adaptation à des niveaux accrus de sérotonine dans la fente synaptique. D’un autre côté, lorsqu’on a demandé à ces patients d’effectuer d’autres tests cognitifs, leurs performances étaient nettement améliorées. Cela signifie que moins le récepteur 5HT4 subissait de changements, plus les fonctions cognitives étaient améliorées.
« Notre travail lie l’amélioration de la fonction cognitive au récepteur spécifique 5HT4 et suggère que la stimulation directe de ce récepteur pourrait être une cible pro-cognitive importante à prendre en compte pour optimiser les résultats du traitement antidépresseur », explique dans un communiqué de l’ECNP l’auteure principale de l’étude, Vibeke Dam, de l’Hôpital universitaire de Copenhague.
« Cela renforce également l’idée que la sérotonine est cruciale pour l’amélioration de l’humeur », affirme-t-elle, jetant ainsi un nouvel éclairage sur la véritable implication de l’hormone dans l’étiologie de la maladie. La stimulation de ce récepteur pourrait d’ailleurs permettre de prendre en charge les déficits de fonctions cognitives liés à la dépression, que les patients montrent ou non une amélioration de leur humeur.
Des médicaments polyvalents traitant à la fois les troubles cognitifs, la dépression et les troubles gastro-intestinaux ?
Toutefois, davantage de recherches sont nécessaires afin de confirmer ces résultats, ces derniers pouvant être limités en raison de l’absence de groupe témoin. La prochaine étape de l’étude consistera donc à explorer les effets des médicaments conçus pour stimuler plus directement le récepteur 5HT4R.
Parmi ces composés figurent par exemple ceux visant à traiter le syndrome du côlon irritable et se liant aux récepteurs 5HT4R présents au niveau des intestins. Cela ouvre potentiellement la voie à des traitements polyvalents pouvant à la fois prendre en charge les troubles cognitifs, les troubles gastro-intestinaux et la dépression. Une précédente étude menée par une équipe de l’Université d’Oxford a d’ailleurs montré que le prucalopride, un médicament généralement prescrit contre la constipation, peut améliorer la mémoire chez les personnes en bonne santé ainsi que celles présentant un risque de dépression.