Les effets des antidépresseurs à base d’inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) mettent plusieurs semaines à se manifester, sans que les médecins ne comprennent vraiment les raisons. Une récente étude nous en dit enfin plus à ce sujet, révélant comment ces médicaments stimulent la croissance synaptique et améliorent la plasticité cérébrale. Cependant, ce processus ne se met progressivement en place qu’à partir de la 3e à 5e semaine de traitement, ce qui pourrait expliquer les effets retardés.
Les ISRS, visant à améliorer la neurotransmission sérotoninergique, constituent les antidépresseurs les plus utilisés. La sérotonine est un important neuromodulateur agissant sur l’humeur, le sommeil, la cognition, le comportement et le développement cérébral précoce. Actuellement, la manière dont ces médicaments soulagent la dépression n’est pas entièrement comprise. En effet, le trouble dépressif majeur (TDM) est une condition très hétérogène et chaque patient réagit différemment aux traitements ISRS, malgré les symptômes communs. On estime que jusqu’à 35% des patients traités par ISRS ne parviennent pas à atteindre un état de rémission.
Cette différence d’efficacité chez les patients a soulevé de nombreuses questions sur les véritables mécanismes physiopathologiques de la dépression. L’implication de la sérotonine dans le trouble a récemment été remise en question, en partie en raison de ce problème. D’un autre côté, des observations suggèrent que plutôt que d’être absente, l’action des ISRS pourrait être davantage retardée chez les individus résistants au traitement.
Une nouvelle étude codirigée par l’Université de Copenhague a été menée dans cette optique de recherche. « Une compréhension plus approfondie des effets neurobiologiques des ISRS sont nécessaires pour adapter le traitement à chaque patient et poursuivre d’autres stratégies pour ceux qui ne bénéficieront probablement pas des ISRS », indiquent-ils dans leur document, publié dans la revue Molecular Psychiatry.
Des différences significatives après 3 à 5 semaines de traitement
L’une des hypothèses ayant conduit au développement des ISRS avance que l’amélioration de la neurotransmission sérotoninergique induit une meilleure neuroplasticité qui, à son tour, renforce le traitement émotionnel et cognitif. Cependant, les réels effets de ces médicaments sur la neuroplasticité n’étaient pas clairement établis à l’époque, en raison du manque de biomarqueurs spécifiques facilement détectables. Néanmoins, les dernières avancées en matière de bioimagerie permettent désormais de quantifier in vivo et de manière non invasive les biomarqueurs associés à la plasticité cérébrale.
Une technique non invasive utilisée par les chercheurs de la nouvelle étude se base sur la détection d’un radioligand par tomographie par émission de positrons (TEP). Ce marqueur se lie spécifiquement à la glycoprotéine 2A de la vésicule synaptique (SV2A), un indicateur de densité synaptique. Ce protocole a été précédemment éprouvé, lorsque des séries de TEP effectuées sur des patients souffrant de dépression et d’autres troubles neuropsychiatriques ont démontré que leur niveau de SV2A était plus faible par rapport aux personnes en bonne santé.
Les chercheurs ont recruté 32 volontaires sains pour un essai semi-randomisé en double aveugle. 17 d’entre eux ont reçu une dose quotidienne d’escitalopram (un ISRS couramment prescrit) tandis que 15 candidats ont reçu un placebo. Les TEP ont été effectués après plusieurs jours de traitement, afin de quantifier le taux de SV2A au niveau de l’hippocampe et du néocortex. À savoir que ces deux régions constituent des cibles de prédilection pour les recherches sur la neuroplasticité, en raison de leur forte implication dans l’apprentissage et la mémoire, ainsi que dans la régulation émotionnelle et la cognition supérieure (respectivement). Bien que la dépression soit catégorisée en tant que trouble de l’humeur, ses symptômes impliquent une affection globale du cerveau, incluant des déficits mémoriels et de la fonction exécutive.
Après analyse, des différences significatives ont été observées au niveau du groupe traité à l’escitalopram et celui non traité. Cependant, ce contraste mettait du temps à se manifester. Le premier groupe ne présentait une augmentation progressive de la densité synaptique au niveau du néocortex et de l’hippocampe qu’après 29 à 38 jours de traitement. Cette augmentation allait en croissant avec le temps. Aucun effet n’a été constaté pour le groupe placebo.
« Cela indiquerait dans une certaine mesure que la densité synaptique du cerveau pourrait être impliquée dans le fonctionnement de ces antidépresseurs. Les synapses se développent sur une période de plusieurs semaines, ce qui expliquerait pourquoi les effets de ces médicaments mettent du temps à se manifester », suggère le coauteur de l’étude Gitte Knudsen, de l’hôpital universitaire de Copenhague.
Les essais sur des individus sains ont permis d’étudier spécifiquement les effets des ISRS sur la neuroplasticité, sans interférence avec d’autres conditions. « Les retards dans l’action thérapeutique des antidépresseurs est une énigme pour les psychiatres depuis qu’ils ont été constatés pour la première fois il y a plus de 50 ans », déclare David Nutt de l’Imperial College de Londres. La prochaine étape est de déterminer si les résultats sont transposables dans les conditions pathologiques et de quelle manière ils peuvent potentiellement être liés à une atténuation des symptômes.