Prédits depuis plus de 40 ans, les anyons sont initialement une construction mathématique destinée à mieux comprendre les interactions et les oscillations à l’intérieur de systèmes à deux dimensions. De pure solution mathématique, ils sont passés au stade de quasi-particules, plus précisément des excitations collectives d’électrons possédant une charge fractionnaire. Cette année, deux études distinctes ont apporté une preuve solide de l’existence des anyons, confirmant la réalité de ces étranges quasi-particules dont le potentiel technologique (notamment dans le cadre de l’informatique quantique) est enthousiasmant.
Après des décennies d’exploration dans les plus petits domaines de la nature, les physiciens ont enfin trouvé des preuves de l’existence des anyons. Prédits pour la première fois par les théoriciens au début des années 1980, ces objets ressemblant à des particules n’apparaissent que dans des domaines confinés à deux dimensions, puis seulement dans certaines circonstances — comme à des températures proches du zéro absolu et en présence d’un champ magnétique puissant.
Les physiciens sont enthousiasmés non seulement parce que leur découverte confirme des décennies de travail théorique, mais aussi pour des raisons pratiques. Par exemple : les anyons sont au cœur d’un effort de Microsoft pour construire un ordinateur quantique fonctionnel. Cette année a apporté deux solides confirmations de l’existence de ces quasi-particules. La première est arrivée en avril, dans un article en couverture de Science, d’un groupe de chercheurs de l’École Normale Supérieure de Paris.
En utilisant une approche proposée il y a quatre ans, les physiciens ont projeté un gaz d’électrons à travers un collisionneur de particules minuscules pour déceler les comportements étranges — en particulier les charges électriques fractionnaires — qui ne surviennent que si des anyons sont présents. La deuxième confirmation est venue en juillet, lorsqu’un groupe de l’Université Purdue dans l’Indiana a utilisé une configuration expérimentale sur une puce gravée qui éliminait les interactions pouvant masquer la dynamique des anyons.
Anyons : des entités à part dans le royaume des quasi-particules
Le physicien du MIT Frank Wilczek, qui a prédit et nommé les anyons au début des années 1980, attribue au premier article la découverte, mais dit que le second place les quasi-particules sur les devants de la scène. Les anyons ne ressemblent pas aux particules élémentaires ordinaires ; les scientifiques ne pourront jamais en isoler un du système où ils se forment.
Ce sont des quasi-particules, ce qui signifie qu’elles ont des propriétés mesurables comme une particule — comme une position, peut-être même une masse —, mais elles ne sont observables qu’en raison du comportement collectif d’autres particules conventionnelles. L’Univers connu ne contient que deux variétés de particules élémentaires. L’une est la famille des fermions, qui comprend les électrons, ainsi que les protons, les neutrons et les quarks qui les forment. Les fermions ne peuvent exister dans le même état quantique au même endroit et en même temps.
Si ces particules n’avaient pas cette propriété, toute la matière pourrait simplement se réduire en un seul point. C’est grâce aux fermions que la matière solide existe. Le reste des particules de l’Univers sont les bosons, un groupe qui comprend des particules comme les photons (les messagers de la lumière et du rayonnement) et les gluons (qui « collent » les quarks ensemble). Contrairement aux fermions, deux bosons ou plus peuvent exister dans le même état en même temps. Ils ont tendance à s’agglutiner.
C’est en raison de cette agglutination que nous obtenons des lasers, qui sont des flux de photons occupant tous le même état quantique. Les anyons ne rentrent dans aucun des deux groupes. Ce qui rend les anyons particulièrement intéressants pour les physiciens, c’est qu’ils présentent quelque chose d’analogue à la mémoire des particules. Si un fermion tourne autour d’un autre fermion, son état quantique reste inchangé. Il en va de même pour un boson.
L’important potentiel technologique des anyons
Les anyons sont différents. Si l’un se déplace autour d’un autre, leur état quantique collectif change. Cela peut nécessiter trois ou même cinq révolutions ou plus avant que les anyons ne reviennent à leur état d’origine. Ce léger décalage agit comme une sorte de souvenir. Cette propriété en fait des objets attrayants pour les ordinateurs quantiques, qui dépendent d’états quantiques notoirement fragiles et sujets aux erreurs. Les anyons constitueraient un moyen plus robuste de stocker les données.
Wilczek souligne que les anyons représentent tout un « royaume » contenant de nombreuses variétés aux comportements exotiques qui peuvent être explorées et exploitées à l’avenir. Il a commencé à y penser il y a environ 40 ans à l’école supérieure, quand il a remis en doute les preuves qui établissaient seulement l’existence de deux types de particules. Il a envisagé d’autres particules, et quand on lui a demandé quelles étaient leurs autres propriétés, ou où trouver ces étranges intermédiaires, il a déclaré en plaisantant partiellement : « tout est permis » (anything goes, en anglais) — donnant lieu au nom.