Apposer un petit appareil sur la langue et ressentir, au choix, le goût d’une glace à la fraise, d’une portion de frites ou d’un poisson grillé ? Ce sera bientôt possible grâce au dispositif créé par Homei Miyashita. L’appareil, baptisé « le synthétiseur Norimaki », utilise cinq gels (un pour chaque saveur de base) contenant des électrolytes : une charge électrique permet de faire migrer des particules le long des tubes, jusqu’à la langue ; selon la tension appliquée, le goût ressenti est différent.
Rappelons que les cinq saveurs de base dont il est question ici sont le sucré, le salé, l’amertume, l’acidité et – moins connu – l’umami. Ce dernier terme est un mot japonais qui signifie « goût savoureux ». Ce goût a été reconnu officiellement comme saveur de base en 1985, pour décrire le goût des glutamates et des nucléotides, des composés que l’on retrouve dans de nombreux aliments (les viandes, les poissons et les légumes). L’umami correspond à une saveur douce et durable sur la langue.
Des saveurs « à la carte »
Homei Miyashita, de l’Université Meiji à Tokyo, a mis au point un appareil portatif qui, une fois posé sur la langue peut recréer diverses sensations gustatives « à la demande ». Comment ? Le petit engin comporte cinq tubes de gel contenant des électrolytes, qui permettent de contrôler l’intensité de chacune des cinq saveurs de base. Le processus fonctionne par électrophorèse, une technique couramment utilisée en biochimie pour séparer des particules chargées se déplaçant dans un champ électrique (les cations, chargés positivement et les anions, chargés négativement) ; selon leurs caractéristiques, ces particules présentent en effet des vitesses de déplacement différentes.
Il suffit donc d’appliquer une charge électrique pour activer la migration des particules et dès que l’appareil touche les récepteurs gustatifs de la langue, on perçoit les cinq sensations gustatives. Mais si l’on applique différentes charges à chaque tube de gel, certains goûts peuvent être exacerbés, tandis que d’autres sont atténués. Voici une présentation du dispositif en vidéo :
Les différents électrolytes utilisés sont : la glycine (pour le sucré), le chlorure de magnésium (pour l’amertume), l’acide citrique (pour l’acidité), le chlorure de sodium (pour le salé) et le glutamate monosodique (pour l’umami). Chacun est dissout dans une faible quantité d’eau pour obtenir des solutions très concentrées. Des résistances variables sont connectées à l’extrémité de chacun des tubes, puis reliées à la cathode ; à l’autre extrémité de chaque tube est inséré un fil de platine. La feuille de cuivre recouvrant l’appareil est connectée à l’anode. Quand un potentiel électrique est appliqué, les cations (charges +) des gels se déplacent vers la cathode et s’éloignent de la langue.
Lorsque la valeur des résistances de tous les tubes augmente, le flux électrique diminue et les saveurs des cinq gels sont perçues en même temps. Lorsque la résistance d’un seul tube diminue, augmentant ainsi le flux de courant, les cations correspondants s’éloignent de la langue et la saveur associée devient plus difficile à percevoir. Voilà comment il est possible de paramétrer l’une ou l’autre saveur. D’après les tests menés par Miyashita, même des transitions brusques, comme passer d’un bonbon acidulé à un sushi, sont correctement perçues.
Pour concevoir cet appareil, Miyashita s’est inspiré de la façon dont nous percevons les images sur un écran : lorsque l’on regarde un film ou n’importe quelle émission télévisée, on voit défiler diverses images cohérentes. En réalité, nous oublions qu’il ne s’agit que d’une série de combinaisons de pixels rouges, verts et bleus, d’intensités variables. Miyashita compare ainsi le fonctionnement de son dispositif à celui d’un écran : « Comme un écran optique qui utilise la lumière des trois couleurs de base pour produire des couleurs arbitraires, cet appareil peut synthétiser et fournir des goûts arbitraires à partir des données acquises par les capteurs de goût ».
L’appareil a été baptisé synthétiseur Norimaki, du nom des algues qui entourent les makis. Ceci vient du fait que Miyashita a eu l’idée d’améliorer l’expérience de l’individu testant son appareil en enveloppant ce dernier dans des algues séchées ; l’engin était alors paramétré pour augmenter les goûts salé et acide, afin d’imiter au mieux la sensation que l’on ressent en consommant des sushis.
Miyashita est ravi que son synthétiseur de goût permette à des utilisateurs de découvrir n’importe quelle saveur sans avoir à mettre le moindre aliment en bouche ! Et les applications de ce type d’appareil pourraient être nombreuses…
Des applications médicales intéressantes
En matière de divertissement, le synthétiseur Norimaki pourrait par exemple être utilisé par les passagers de vols aériens ne bénéficiant pas du repas « première classe » : ils pourraient profiter simplement de la saveur d’un steak ou d’une crème glacée virtuels pour égayer leur voyage ! Plus sérieusement, le dispositif trouve tout son intérêt dans le secteur médical. Il pourrait notamment être d’une grande aide dans les traitements du surpoids et de l’obésité ; les régimes alimentaires moins riches pourraient être complétés par d’agréables sensations gustatives, sans aucune calorie supplémentaire.
De la même manière, les personnes souffrant d’hypertension artérielle ou de diabète, qui doivent limiter leurs apports en sel et en sucre respectivement, pourraient relever la saveur de leur vrai repas avec un assaisonnement virtuel, sans aucun danger pour leur santé.
Dans l’article présentant son synthétiseur, Miyashita précise que son travail a été motivé par des recherches antérieures, menées en 2011 par Hiromi Nakamura, portant sur « le goût augmenté » ; Nakamura suggérait alors d’envoyer des charges électriques à travers des baguettes, des fourchettes et des pailles pour créer des goûts que les humains ne peuvent pas percevoir avec leurs papilles gustatives.
Sur le même sujet : De la viande de synthèse qui imite parfaitement la vraie
À noter que des travaux similaires, basés sur l’amplification sensorielle, ont également été menés non pas sur le goût, mais sur l’odorat. Quelques tentatives peu concluantes ont été effectuées dans certains théâtres de New York dans les années 1930, où l’on diffusait des odeurs pendant le spectacle. Mais en 1959, Charles Weiss fut à l’origine de la toute première expérience de « cinéma odorant », grâce à son système baptisé AromaRama : le film Derrière la Grande Muraille fut projeté tandis que plus d’une centaine d’arômes différents étaient diffusés dans la salle (herbe, terre, explosion de pétards, encens, rivière, chevaux, torches enflammées, etc.).
Peu de temps après, le film Scent of Mystery sortait dans les salles outre-Atlantique, accompagné du système Smell-O-Vision créé par Hans Laube. Certaines odeurs constituaient même des indices d’une action imminente à l’écran (comme la fumée de tabac qui se dégageait à chaque apparition du tueur). Mais le dispositif n’a guère convaincu le public, qui s’est finalement plaint de la diffusion inégale ou désynchronisée des odeurs.