Des chercheurs suggèrent que la gigantesque couche de glace de dioxyde de carbone recouvrant la surface d’Ariel, l’une des lunes d’Uranus, provient d’un océan liquide se cachant sous la surface. Étant donné la distance de la planète et de ses satellites par rapport au Soleil, cette glace devrait notamment s’évaporer dans l’espace, sauf si un processus interne la renouvelle en permanence.
La surface d’Ariel abrite l’un des plus grands gisements de CO2 du système solaire. De façon étonnante, la couche de glace de CO2 de la planète se situe majoritairement au niveau de son « hémisphère arrière », celui qui est toujours orienté du côté opposé d’Uranus. Encore plus surprenant, ce CO2 ne devrait normalement pas subsister à la surface du satellite, étant donné sa distance par rapport au Soleil.
En effet, en raison de la forte inclinaison orbitale du système uranien, l’un des pôles des lunes est constamment exposé à la lumière du Soleil en été, tandis que l’autre est constamment plongé dans l’obscurité, et vice versa en hiver. Une saison y dure environ 21 ans terrestres. De précédentes modélisations ont montré que les cycles saisonniers devraient dépouiller les pôles du CO2 et d’autres substances volatiles, puis les concentrer vers les basses latitudes. Au fil du temps, ce CO2 s’évapore progressivement dans l’espace, ce qui devrait logiquement épuiser les dépôts de surface.
Cependant, étant donné la quantité subsistant à la surface d’Ariel, il a été suggéré que son CO2 se renouvelle en permanence par le biais d’un processus actif. Une hypothèse avance que cela pourrait s’effectuer par radiolyse, une réaction au cours de laquelle les molécules sont décomposées par les rayonnements ionisants provenant de la magnétosphère d’Uranus. Cependant, cette hypothèse fait l’objet de débats en raison de l’inclinaison de l’orbite de la planète par rapport à celles de ces lunes (environ 58°) et qui limite les interactions magnétosphériques.
La nouvelle étude, codirigée par le Laboratoire de physique appliquée de l’Université Johns Hopkins, dans le Maryland (aux États-Unis), suggère qu’un océan liquide enfoui sous la surface glacée d’Ariel pourrait être à l’origine de ce processus de renouvellement. Les nouvelles données spectrométriques collectées par le télescope spatial James Webb (JWST) suggèrent que le processus est d’origine interne plutôt qu’externe, comme le propose l’hypothèse de la radiolyse.
Un réapprovisionnement de CO2 et de CO provenant de l’intérieur
Pour analyser le spectre de la surface d’Ariel, l’équipe de la nouvelle étude a utilisé le Near InfraRed Spectrograph (NIRSpec) du JWST. Les molécules absorbent et réfléchissent la lumière selon des longueurs d’onde qui leur sont spécifiques. En analysant la lumière du satellite naturel avec le spectromètre ultrasensible, les chercheurs ont pu établir un tableau précis des molécules présentes à sa surface. Ces données ont ensuite été comparées avec celles de mélanges chimiques simulés en laboratoire.
Les chercheurs ont constaté qu’Ariel possède un gigantesque gisement de glace de CO2 d’une épaisseur de plus de 10 millimètres, au niveau de son hémisphère arrière — ce qui concorde avec les précédentes observations. Cependant, des signaux clairs de monoxyde de carbone (CO) ont également été détectés pour la première fois, ce qui a déconcerté les experts.
En effet, « il ne devrait pas y en avoir. Il faut descendre à 30 kelvins [-243 °C] pour que le monoxyde de carbone soit stable », explique dans un communiqué du Laboratoire de physique appliquée de l’Université Johns Hopkins, Richard Cartwright, auteur principal de l’étude, publiée dans The Astrophysical Journal Letters. Or, la température à la surface d’Ariel est d’environ 18 °C plus élevée en moyenne. « Le monoxyde de carbone devrait être activement réapprovisionné, cela ne fait aucun doute », suggère l’expert.
Selon l’équipe, les molécules carbonées proviendraient d’un processus chimique se produisant au niveau d’un océan liquide souterrain et s’échapperaient soit par les fissures dans la couche de glace, soit par des geysers explosifs. De précédentes observations ont montré que la surface de l’hémisphère arrière d’Ariel est recouverte de canyons en forme de fentes, de rainures entrecroisées et de taches lisses qui proviendraient de déversements cryovolcaniques. Cela pourrait indiquer que la Lune est géologiquement très active.
Toutefois, « c’est un peu exagéré, car nous n’avons pas encore vu grand-chose de la surface de la lune », précise Cartwright. En effet, lors de son unique passage près d’Uranus, la sonde Voyager 2 n’a capturé qu’environ 35 % de la surface d’Ariel. « Nous ne le saurons pas tant que nous n’aurons pas effectué des observations plus approfondies », ajoute l’expert.
D’un autre côté, d’autres observations spectrométriques ont indiqué que la surface d’Ariel pourrait aussi contenir des minéraux carbonatés. Ces derniers ne peuvent être produits que par le biais de la réaction entre l’eau liquide et certaines roches, ce qui renforce davantage l’hypothèse de l’océan liquide souterrain. « Si notre interprétation de cette caractéristique carbonatée est correcte, alors c’est un résultat assez important, car cela signifie qu’elle a dû se former à l’intérieur », indique Cartwright.
Par ailleurs, la radiolyse pourrait aussi être en partie responsable du réapprovisionnement en CO2 et en CO à la surface d’Ariel. Les expériences en laboratoire ont montré que le bombardement en radiation de glace d’eau mélangée à des matériaux riches en carbone, peut produire les deux composés. Cependant, cette portion resterait beaucoup moins élevée que celle produite par le biais d’un processus interne.
Les chercheurs espèrent pouvoir confirmer leurs résultats par le biais de nouvelles observations et modélisations. L’enquête décennale de la Planetary Science and Astrobiology publiée en 2023 a d’ailleurs souligné la nécessité de donner la priorité à une mission dédiée au système uranien. Cela pourrait découler non seulement sur de précieuses informations concernant l’énigmatique système, mais également sur des données clés sur la formation du système solaire ainsi que d’autres systèmes planétaires.