Notre corps contient des matériaux bien plus résistants que ce que nous pourrions penser… En effet, c’est à partir d’une protéine contenue dans le corps humain que des chercheurs sont parvenus à créer un biogel extrêmement résistant. Selon leurs dernières recherches, il serait même à l’épreuve de projectiles supersoniques.
Dans notre corps, il existe une protéine dénommée « taline » : sous ce joli nom se cachent des propriétés bien particulières, qu’une équipe de scientifiques de l’Université de Kent, au Royaume-Uni, a décidé d’exploiter. Grâce à elle, les chercheurs sont parvenus à créer un biogel extrêmement résistant aux impacts, qui a encaissé de petits projectiles en basalte envoyés à une vitesse de 1,5 km par seconde. Les projectiles en eux-mêmes n’ont pas non plus subi de dégâts. À la place, ils sont venus se loger douillettement dans cet étonnant matériau.
Ces travaux ont été prépubliés sur arXiv, dans l’attente d’une relecture par des pairs. « L’origine du nom taline dérive du mot latin talus, la cheville : cela préfigure les propriétés de lien physique et d’articulation de cette molécule, mais aussi sa flexibilité », décrivent des scientifiques français, qui s’étaient aussi intéressés à cette protéine dans leurs travaux de recherche. La taline est une protéine dite « mécanique ».
Elle sert notamment de connexion entre deux autres protéines, l’actine et l’intégrine, présentes dans toutes les cellules du corps. Elle relie le cytosquelette d’actine, autrement dit sa « structure » et les récepteurs de la matrice extracellulaire des intégrines. Si l’on résume la caractéristique qui intéresse particulièrement les chercheurs chez la taline, c’est sa fonction « d’amortisseur ». En effet, lorsque la protéine subit une force, elle est capable de réduire très fortement l’impact.
Une protéine pourvue « d’amortisseurs »
Pour ce faire, elle a à sa disposition 13 petites structures en forme de bâtonnets qui se « déplient » quand une force est exercée, et se « replient » quand elle n’est plus appliquée, agissant comme des amortisseurs. L’ingéniosité des chercheurs a été d’exploiter cette particularité. « Dans le règne animal, les protéines qui offrent des propriétés mécaniques uniques sont légion ; la fibroïne de soie présente des propriétés modifiables à grande échelle sous sa forme de fibre assemblée, tandis que l’élastine confère de l’élasticité aux tissus animaux. Bien qu’il existe de nombreuses protéines analogues à ces exemples, très peu de chercheurs ont exploité ces ressources naturelles pour développer des matériaux dotés de nouvelles propriétés mécaniques, et encore moins ont testé ces matériaux pour des applications réelles en dehors du secteur biomédical », affirme l’équipe dans l’article résumant ses travaux.
Pour créer un « gel » à base de cette protéine, ils lui ont apporté quelques modifications. L’équipe a adapté les extrémités de trois des « bâtonnets », puis a lié ces molécules modifiées à l’aide d’eau et d’un agent gélifiant. Le tout forme une structure en forme de maille. Le « gel » ainsi créé a prouvé sa capacité à utiliser les propriétés de la taline pour amortir les chocs. Les scientifiques ont ainsi tiré un projectile à une vitesse supersonique (1,5 km/seconde) contre leur matériau. Celui-ci a absorbé le choc sans subir de dommages apparents, et aucun dommage n’a été non plus observé sur le support que le matériau protégeait. Même le projectile a été préservé.
Des matériaux en gel ont déjà été utilisés pour absorber les chocs. Toutefois, l’énergie était convertie en chaleur plutôt que d’être absorbée par un mécanisme comme celui de la taline. Le matériau avait donc tendance à fondre. Soumis au même test, un gel différent n’a d’ailleurs pas montré les mêmes performances : « Lors du tir à 1,5 km/s, le gel de contrôle a été détruit, avec un trou visible dans le ruban adhésif derrière le gel, et un cratère de 1,33 mm de diamètre produit dans la plaque arrière en aluminium. Par conséquent, ce matériau témoin n’a montré aucune propriété d’absorption d’impact détectable ».
Les scientifiques envisagent d’utiliser ce nouveau matériau pour concevoir des armures de protection, ou encore pour récupérer des débris sans les endommager, notamment dans l’espace.