L’arthrose des genoux concerne près d’un adulte sur six dans le monde. Les médecins préconisent depuis longtemps uniquement des traitements symptomatiques, notamment des analgésiques. Les technologies à base d’hydrogel bénéficient aujourd’hui de grandes avancées et permettront peut-être bientôt de restaurer complètement les fonctions mécaniques des articulations, soulageant ainsi durablement les patients. Récemment, un nouvel hydrogel développé par Sparta Biomedical et l’Université de Duke a démontré des propriétés fonctionnelles et mécaniques supérieures au cartilage naturel des genoux. Actuellement en essai sur des moutons, la technologie est la plus prometteuse du genre et pourrait passer en essai clinique dès l’année prochaine.
Maladie articulaire la plus répandue, l’arthrose est due à l’usure du cartilage soutenant les articulations, conférant la souplesse de leurs mouvements et amortissant les frottements. Le cartilage y perd notamment en épaisseur, se fissure et finit par se dissoudre complètement dans certains cas. Comme les genoux supportent un poids très important, en plus d’être sollicités pour effectuer d’intenses mouvements, ils constituent souvent les premières zones où la maladie se manifeste chez les patients, après la colonne vertébrale et les doigts. La sollicitation intense combinée à la diminution de l’épaisseur du cartilage provoque alors des douleurs intenses, qui peuvent devenir des handicaps majeurs.
« Le cartilage naturel est une substance remarquablement durable. Mais une fois endommagé, il a une capacité limitée à guérir, car il n’a pas de vaisseaux sanguins », explique Benjamin Wiley, co-auteur principal de la nouvelle étude présentant le nouvel hydrogel, parue dans la revue Advanced Functional Materials et professeur de chimie à l’Université de Duke.
Ces dernières décennies, le nombre de cas d’arthrose n’a cessé d’augmenter : la maladie touche aujourd’hui près de 867 millions de personnes. Et bien que les mécanismes de dégradation du cartilage ne sont pas encore complètement compris, l’on sait qu’ils sont induits par plusieurs facteurs, dont certains sont cohérents avec les tendances actuelles, telles que l’obésité et le diabète. Toutefois, l’âge reste le principal facteur de prévalence de la maladie.
Pour ce qui est des traitements, la chirurgie est choisie en dernier recours quand les patients ne peuvent plus être soulagés par les antidouleurs. Les chirurgiens ont développé des techniques d’arthroplastie relativement peu invasives, telles que l’élimination du cartilage lâche, le perçage de trous pour stimuler la régénération du cartilage, ou encore la transplantation de cartilage sain d’un donneur. Cependant, ces techniques nécessitent plusieurs mois de rééducation et ont un faible taux de réussite.
Le nouvel hydrogel développé par Sparta Biomedical ambitionne d’éradiquer ces problèmes, en substituant le cartilage plus efficacement et plus durablement que lors d’une transplantation de cartilage naturel. Ce dernier peut notamment supporter 5800 à 8500 livres par pouce carré (environ 40 000 à 58 600 kilopascals) en traction et en compression. Le nouvel hydrogel quant à lui peut supporter une traction 26% supérieure et une compression 66% supérieure.
« C’est vraiment hors du commun en termes de résistance d’hydrogel », s’extasie Wiley. En effet, cela est comparable à poser une voiture sur une surface aussi petite qu’un timbre sans qu’elle ne se comprime au-delà de son point de rupture. Le nouvel hydrogel est d’ailleurs trois fois plus résistant à l’usure que le cartilage naturel.
Un nouveau procédé de « recuisson »
Le nouveau matériau de Sparta Biomedical est composé de fines feuilles de fibre de cellulose, infusées avec un polymère d’alcool polyvinylique. Le mélange se gélifie grâce à sa constitution en longues chaînes de molécules répétitives. La cellulose agit de la même manière que le cartilage naturel, mais donne à l’ensemble de gel plus de résistance à l’étirement. L’alcool polyvinylique permet ensuite de lui redonner sa forme originelle, tel un élastique. Composé d’eau à 60%, le mélange est ainsi très souple mais particulièrement résistant.
À savoir que l’équipe de recherche avait déjà développé un hydrogel pouvant s’adapter aux genoux et supporter deux à trois fois plus de poids corporel lors de la marche que le cartilage naturel. Cependant, il nécessitait des améliorations, notamment car il ne permettait pas encore de supporter la force exercée lors de sauts ou de la marche dans un escalier. Ces actions peuvent notamment exercer jusqu’à 10 mégapascals de pression sur les genoux.
Lors de recherches antérieures, les scientifiques avaient opté pour un processus de « congélation-décongélation » pour rendre les hydrogels plus résistants, grâce à la formation de cristaux entre les liaisons de polymères. Dans le nouveau procédé, ils ont utilisé un processus thermique de « recuisson » pour engendrer la formation davantage de cristaux, résultant ainsi en un gain de solidité de l’hydrogel. Ce processus innovant permet au nouvel hydrogel de résister à cinq fois plus de traction et deux fois plus de pression que ceux optimisés par congélation-décongélation.
Le nouveau traitement thermique a aussi permis au gel de se fixer à un joint et de ne pas glisser lorsque le patient est en mouvement, l’un des grands inconvénients des hydrogels conventionnels. Le dispositif de l’équipe de Wiley est en effet constitué d’une base en titane où l’hydrogel peut se fixer efficacement. L’ensemble est ensuite implanté dans la zone où le cartilage naturel est endommagé. Les tests mécaniques ont montré que le dispositif a une capacité d’ancrage de 68% supérieure au cartilage naturel.
Pour les tests d’usure, les chercheurs ont frotté le cartilage artificiel au cartilage naturel selon des mouvements de rotation (un million) et une pression similaire à celle que le genou supporte quotidiennement. Résultat : la version artificielle a subi trois fois moins d’usure. Il faut noter également que la texture souple et lisse du nouveau cartilage peut protéger le reste de la surface articulaire du frottement provoqué par l’implant. La technologie est actuellement testée in vivo sur des moutons, et « si tout se passe comme prévu, l’essai clinique devrait commencer dès avril 2023 », conclut Wiley.