Assombrissement progressif des océans : une menace émergente pour la vie marine

Plus d’un cinquième des zones photiques océaniques connaissent une diminution de profondeur allant jusqu’à plus de 100 mètres.

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En combinant une analyse de données satellites et des modélisations informatiques, des chercheurs ont constaté que plus d’un cinquième des océans dans le monde se sont assombris au cours des deux dernières décennies. La profondeur des zones photiques a diminué jusqu’à 100 mètres. Bien que les implications de ces changements ne soient pas encore totalement claires, les experts estiment qu’ils pourraient impacter négativement la vie marine et les services écosystémiques qui en découlent. 

La zone photique, région océanique où la lumière du Soleil pénètre suffisamment pour stimuler les processus photobiologiques, abrite 90 % de la vie marine. Elle s’étend en moyenne jusqu’à 200 mètres de profondeur et joue un rôle fondamental dans les bilans mondiaux de nutriments et de carbone, le maintien des ressources halieutiques et l’équilibre des écosystèmes marins aphotiques, là où la lumière ne parvient plus.

Des préoccupations ont émergé au cours des dernières années concernant les impacts écologiques du verdissement et de l’assombrissement observés au niveau des zones côtières. L’augmentation des concentrations de plancton et des particules en suspension, issues de l’activité humaine, aurait réduit la quantité de lumière disponible pour les processus photobiologiques.

Cependant, malgré les inquiétudes croissantes, l’ampleur de cet assombrissement n’avait jusqu’ici jamais été précisément mesurée. Des chercheurs des universités de Plymouth et d’Exeter ont, pour la première fois, quantifié l’assombrissement des océans à l’échelle mondiale. Leurs résultats – détaillés dans la revue Global Change Biology – confirment ces préoccupations, révélant des transformations notables en seulement deux décennies.

« Nos résultats démontrent que de tels changements provoquent un assombrissement généralisé qui réduit la quantité d’océan disponible pour les animaux qui dépendent du Soleil et de la Lune pour leur survie et leur reproduction », explique, dans un article de blog de l’Université de Plymouth, Thomas Davies, professeur associé de conservation marine et co-auteur de l’étude. « Nous dépendons également de l’océan et de ses zones photiques pour l’air que nous respirons, les poissons que nous consommons, notre capacité à lutter contre le changement climatique, ainsi que pour la santé et le bien-être général de la planète. Compte tenu de tous ces éléments, nos conclusions constituent une réelle source d’inquiétude », ajoute-t-il.

Un assombrissement croissant mesuré par satellite

Pour analyser les transformations survenues dans les zones photiques, les chercheurs ont exploité les données de l’Ocean Color Web de la NASA, une plateforme offrant une vue globale des océans avec une résolution de 9 kilomètres par pixel. Ces données, issues d’observations satellites, permettent de mesurer les évolutions à la surface des mers. Un algorithme spécialisé calcule le taux de pénétration de la lumière dans l’eau afin de déduire la profondeur de la zone photique dans chaque région étudiée.

Des modélisations informatiques ont ensuite été menées pour examiner les variations annuelles de profondeur. Plus précisément, les scientifiques ont mobilisé des modèles d’irradiance solaire et lunaire afin d’identifier les fluctuations susceptibles d’influer sur la vie marine. Bien que ces changements soient mineurs la nuit comparés à ceux du jour, ils pourraient avoir des répercussions écologiques, notamment sur les espèces sensibles aux cycles lumineux.

L’équipe a constaté qu’entre 2003 et 2022, 21 % des océans mondiaux se sont assombris. Cela inclut aussi bien les régions côtières que les zones en haute mer. En outre, 9 % des océans – soit une superficie de plus de 32 millions de kilomètres carrés, équivalente à celle de l’Afrique – ont vu la profondeur de leurs zones photiques diminuer de plus de 50 mètres. Plus préoccupant encore, 2,6 % des océans ont enregistré une réduction de plus de 100 mètres.

carte zones photiques
Évolution de la profondeur de la zone photique (en mètres) entre 2003 et 2022, sous l’effet des rayonnements solaire (A) et lunaire (B). Les zones rouges indiquent une réduction de la profondeur de la zone photique, tandis que les zones bleues indiquent une augmentation. © Davies & Smyth

Régions polaires et mers fermées: les zones critiques

Les changements les plus importants en haute mer ont été observés à l’extrémité du Gulf Stream ainsi qu’aux abords de l’Arctique et de l’Antarctique, deux régions particulièrement affectées par le réchauffement climatique. L’assombrissement est également marqué dans les zones côtières et les mers fermées comme la mer Baltique, où les eaux de ruissellement charrient des sédiments et autres particules vers la mer. Ce phénomène favorise la prolifération du plancton tout en limitant la pénétration de la lumière.

Il convient toutefois de souligner que les changements observés ne se limitent pas à l’assombrissement. Les données analysées montrent qu’environ 10 % de la surface des océans – soit plus de 37 millions de kilomètres carrés – se sont éclaircies au cours des deux dernières décennies.

Certaines régions présentent ainsi des évolutions contrastées. Au Royaume-Uni, les zones de la mer du Nord et de la mer Celtique, les côtes orientales de l’Angleterre et de l’Écosse, les côtes du Pays de Galles et les régions septentrionales de la mer d’Irlande se sont assombries depuis vingt ans. À l’inverse, une grande partie de la Manche ainsi que les zones maritimes situées entre le nord de l’Écosse et les îles Orcades et Shetland se sont éclaircies.

carte photique UK
Une carte centrée sur le Royaume-Uni et l’océan Atlantique Nord montrant les changements identifiés grâce à ce projet – les zones rouges indiquent les régions où les océans deviennent plus sombres, tandis que les zones bleues indiquent les régions où ils deviennent plus clairs. © Davies & Smyth

Un dérèglement invisible mais profond des écosystèmes

Les conséquences de ces modifications restent, pour l’heure, incertaines, mais elles pourraient bouleverser de nombreux équilibres marins. Car les océans, loin d’être des masses d’eau inertes, sont des systèmes dynamiques. Le niveau de lumière pénétrant dans l’eau varie fortement au fil de la journée, et les espèces dont le comportement est lié à ces variations sont particulièrement vulnérables.

« Si la zone photique diminue d’environ 50 mètres dans de vastes zones océaniques, les animaux ayant besoin de lumière seront contraints de se rapprocher de la surface, où ils devront rivaliser pour accéder à la nourriture et aux autres ressources nécessaires à leur survie », explique Tim Smyth, co-auteur de l’étude, responsable scientifique de la biogéochimie marine et des observations au Laboratoire marin de Plymouth, et professeur au Département des sciences de la Terre et de l’environnement de l’Université d’Exeter. « Cela pourrait entraîner des changements fondamentaux dans l’ensemble de l’écosystème marin », ajoute-t-il.

D’après les chercheurs, ces modifications seraient probablement liées à une combinaison de facteurs : apports excessifs en nutriments, matières organiques et sédiments, véhiculés par les eaux de ruissellement agricoles ou industrielles, augmentation des précipitations, etc.

En haute mer, elles pourraient résulter de changements dans les dynamiques de prolifération des algues ou des variations de température en surface. Des recherches complémentaires seront nécessaires pour déterminer avec précision les causes exactes et leurs effets sur les écosystèmes marins.

Source : Global Change Biology
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