Cette galaxie géante, baptisée Alcyoneus — à l’image de l’un des géants de la mythologie grecque — s’étend sur 5 mégaparsecs, soit 16,3 millions d’années-lumière de long. Elle a été détectée grâce aux données collectées par le LOw Frequency ARray (LOFAR), un réseau interférométrique composé d’environ 20 000 antennes radio réparties dans toute l’Europe. Il s’agit d’une galaxie elliptique, hébergeant un trou noir supermassif en son centre, source de gigantesques jets de plasma. Sa découverte pourrait contribuer à améliorer notre compréhension des radiogalaxies géantes, en particulier de la façon dont elles se développent.
Située à environ 3 milliards d’années-lumière de la Terre, Alcyoneus est ce que l’on appelle une radiogalaxie, ainsi nommée car l’énergie qui en émane est essentiellement émise dans la gamme des ondes radio, par rayonnement synchrotron. Elle se compose ainsi d’une galaxie hôte — un amas d’étoiles orbitant autour d’un noyau contenant un trou noir supermassif — et de gigantesques jets et lobes radio ; ces derniers accélèrent les électrons, qui génèrent des émissions radio. Le trou noir central, dont la masse est estimée à environ 400 millions de masses solaires, est à l’origine des jets de plasma observés.
Ces jets immenses et ultrarapides sont relativement courants dans l’espace. Les trous noirs actifs au centre des galaxies n’absorbent pas la totalité de la matière environnante : une fraction de celle-ci est en effet dirigée vers les pôles du disque d’accrétion, où elle est projetée sous forme de jets à des vitesses extrêmes. Ceux-ci peuvent parcourir de longues distances, et finissent par former ce que l’on appelle des lobes radio, qu’ils continuent d’alimenter au fil du temps. Mais dans certains cas, le phénomène conduit à la formation de radiogalaxies géantes de plusieurs mégaparsecs de long. Les mécanismes physiques qui soutiennent cette croissance extrême ne sont cependant pas encore bien compris.
La plus grande structure connue faite par une seule galaxie
Certains radiogalaxies peuvent en effet atteindre plus de 100 fois le diamètre de leur galaxie hôte ! Les scientifiques tentent donc de déterminer s’il existe des caractéristiques particulières chez les galaxies hôtes ou des environnements spécifiques à grande échelle qui sont propices à la croissance des radiogalaxies géantes ; la découverte d’Alcyoneus, en tant que plus grande radiogalaxie jamais découverte, fournit ainsi un excellent sujet d’étude. « Étant un exemple extrême dans sa catégorie, Alcyoneus pourrait faire la lumière sur les principaux mécanismes qui régissent la croissance des radiogalaxies », expliquent les chercheurs dans leur article préimprimé, à paraître dans Astronomy & Astrophysics.
En étudiant les caractéristiques de la galaxie hôte d’Alcyoneus, les chercheurs espèrent ainsi découvrir les éléments et conditions clés, indispensables au développement de telles galaxies. C’est en examinant les données du LOFAR — en veillant à éliminer toutes les sources radio susceptibles d’interférer avec les ondes émises par les lobes radio — qu’ils ont détecté Alcyoneus, qu’ils qualifient de « plus grande structure connue faite par une seule galaxie », avec une taille estimée à au moins 5 mégaparsecs, soit plus de 16 millions d’années-lumière. Pour comparaison, le diamètre de la galaxie Messier 87, une autre radiogalaxie géante située dans l’amas de la Vierge, est estimé à près d’un million d’années-lumière.
Les données montrent que la galaxie hôte est de type elliptique, de masse stellaire d’environ 2,4 x 1011 masses solaires et qu’elle accueille en son centre un trou noir supermassif d’environ 4 x 108 masses solaires. Les volumes des deux lobes ont été estimés à 1,5 Mpc3 et 1 Mpc3 respectivement et à eux deux, ils totalisent une énergie interne de l’ordre de 1053 joules.
Une expansion probablement liée à un environnement peu dense
Martijn Oei, astronome à l’Observatoire de Leiden, aux Pays-Bas, et ses collaborateurs notent cependant qu’Alcyoneus et sa galaxie hôte semblent « suspicieusement ordinaires » : la densité de luminosité basse fréquence totale (d’environ 8 x 1025 W/Hz), la masse stellaire et la masse du trou noir supermassif sont toutes inférieures, bien que similaires, aux valeurs généralement observées pour ce type de galaxies. À titre de comparaison, la masse de M87 est de l’ordre de 1012 masses solaires, tandis que la masse de M87* — le trou noir supermassif qui se trouve en son centre — est estimée à environ 6,5 milliards de masses solaires.
Par conséquent, il apparaît que des galaxies très massives ou des trous noirs centraux ne sont pas nécessaires à la croissance des galaxies géantes ; une puissance radio élevée ne l’est pas non plus, ajoutent les chercheurs. En revanche, un environnement à faible densité reste une explication possible. En outre, la galaxie hôte réside dans un filament de toile cosmique, avec lequel elle pourrait avoir une interaction thermodynamique significative.
Le fait qu’Alcyoneus soit localisée dans une région de l’espace peu dense et/ou ses interactions avec le milieu intergalactique pourrait donc être la clé de son expansion démesurée. Selon les chercheurs, les pressions estimées au niveau des lobes (de l’ordre de 5 x 10-16 Pa) sont les plus faibles trouvées jusqu’à présent ; Alcyoneus représente donc « la radiogalaxie la plus prometteuse à ce jour pour sonder le milieu intergalactique chaud ». Si l’équipe n’a pas encore pu déterminer la cause exacte de son expansion, ils pensent que les lobes d’Alcyoneus continuent à s’étendre.