Une équipe internationale d’astronomes a récemment découvert une supernova à lentille gravitationnelle, un phénomène exceptionnellement rare. Située à plus de quatre milliards d’années-lumière, sa lumière a été amplifiée près de 25 fois par une galaxie de premier plan. Cette découverte est l’opportunité de collecter de nouveaux indices sur les noyaux internes des galaxies, l’expansion de l’Univers et l’énergie noire.
Les lentilles gravitationnelles sont de véritables « loupes » cosmiques. Ce phénomène optique se produit lorsqu’un objet massif, tel qu’une galaxie ou un amas de galaxies, se situe entre un observateur et une source lumineuse lointaine. Le champ gravitationnel de l’objet est tel qu’il courbe les rayons lumineux issus de la source, de sorte que l’observateur voit une image agrandie et déformée de celle-ci. Grâce aux lentilles gravitationnelles, les astronomes ont l’opportunité d’observer des objets très lointains via les télescopes optiques terrestres, qu’ils ne pourraient capturer en d’autres circonstances.
Le phénomène a cette fois permis à une équipe d’astronomes d’observer une explosion stellaire, une supernova, située à plus de quatre milliards d’années-lumière. La présence d’une galaxie quasiment à mi-chemin (à 2,5 milliards d’années-lumière) a amplifié sa lumière jusqu’à 25 fois et a fourni une image multiple de l’événement ! Observer ainsi une supernova à travers une lentille gravitationnelle est extrêmement rare, et représente l’un des plus grands défis de l’astronomie. « De tels objets à lentille peuvent nous aider à sonder de manière unique la quantité et la distribution de la matière au cœur des galaxies », explique Ariel Goobar, directeur du centre Oskar Klein de l’Université de Stockholm et auteur principal de l’étude rapportant la découverte.
Un phénomène amplifié par des « microlentilles »
Les astronomes ont déjà pu observer plusieurs quasars lointains grâce aux lentilles gravitationnelles. Mais de par leur nature transitoire, seule une poignée de supernovas ont pu être observées de cette manière jusqu’à présent.
Celle-ci est de type Ia, un type de supernova qui se produit dans des systèmes binaires, dans lesquelles l’une des étoiles est une naine blanche. C’est le Zwicky Transient Facility (ZTF) de l’Observatoire Palomar, en Californie, qui a détecté pour la première fois la lumière de l’explosion en août 2022 ; l’événement a été baptisé « SN Zwicky » et représente le plus petit système de lentille gravitationnelle résolu découvert avec des télescopes optiques. Depuis sa découverte, il a fait l’objet d’observations de suivi par plusieurs instruments, notamment la caméra proche infrarouge 2 (NIRC2) de l’Observatoire W. M. Keck, situé à Hawaï.
Conçu pour observer les événements transitoires, tels que les supernovas, le ZTF surveille la totalité du ciel nordique en 2 à 3 jours, depuis quatre ans. « Sa très grande couverture du ciel le rend particulièrement bien adapté à la recherche de phénomènes rares, tels que l’effet de lentille gravitationnelle des supernovas », soulignent les chercheurs dans Nature Astronomy. L’équipe s’est rapidement aperçue que SN Zwicky était bien trop brillante compte tenu de sa distance et en a déduit qu’elle était en présence d’un phénomène rare : une lentille gravitationnelle dite « forte ».
Avec ce type de lentille, la lumière provenant de l’objet lointain est tellement déformée qu’elle est amplifiée et divisée en plusieurs copies de la même image ; elle peut parfois produire des anneaux d’Einstein lorsque l’observateur, l’objet-lentille et l’objet d’arrière-plan sont parfaitement alignés. L’image de la supernova a ici été multipliée par quatre.
L’équipe a toutefois remarqué que ces quatre images n’étaient pas toutes égales en matière de luminosité : deux d’entre elles étaient plus lumineuses que prévu, jusqu’à plus de quatre fois. Selon les chercheurs, cela pourrait être dû à la présence de « microlentilles » — des lentilles gravitationnelles plus petites, créées par des étoiles ou des planètes au sein même de la galaxie-lentille. Ces effets de microlentille pourraient ainsi révéler des indices sur la distribution des masses des étoiles au cœur de la galaxie.
Des objets prometteurs pour sonder l’énergie noire
D’autres supernovas à lentille comme celle-ci pourraient également aider à résoudre certains grands mystères de l’Univers. Elles pourraient notamment aider à affiner les modèles actuels décrivant l’expansion de l’Univers — y compris le calcul de la constante de Hubble, qui peut être obtenue à partir du délai entre l’apparition des différentes images de la supernova.
Les supernovas de type Ia ont en effet la particularité de produire une luminosité maximale relativement constante d’un événement à l’autre, en raison de la masse critique fixe à laquelle une naine blanche explose. Cette propriété unique a été utilisée pour révéler l’accélération de l’expansion de notre univers en 1998 — accélération qui repose sur une forme d’énergie hypothétique, l’énergie noire, dont la nature reste aujourd’hui encore inconnue.
Les astronomes tentent de résoudre les supernovas de type Ia les plus lointaines possibles afin de percer les secrets de cette énergie, qui représenterait près de 70% de la densité énergétique totale de l’Univers. « Les supernovae de type Ia à forte lentille nous permettent de voir plus loin dans le temps parce qu’elles sont agrandies. L’observation d’un plus grand nombre d’entre elles nous donnera une chance sans précédent d’explorer la nature de l’énergie noire », explique Joel Johansson, chercheur postdoctoral à l’Université de Stockholm et co-auteur de l’étude.
C’est la seconde fois qu’une supernova Ia à lentille est détectée à l’Observatoire Palomar. En 2016, le Palomar Transient Factory (iPTF), le prédécesseur de ZTF, avait repéré un événement similaire, mais avec un grossissement encore plus important, baptisé ciPTF16geu ; la lumière de l’explosion avait été amplifiée plus de 50 fois.
Quels sont les éléments manquants nécessaires pour modéliser l’histoire de l’expansion de l’Univers ? Quelle est la nature de la matière noire qui constitue la grande majorité de la masse des galaxies ? Les scientifiques espèrent découvrir de nombreuses autres supernovas similaires à SN Zwicky, qui leur permettront peut-être de résoudre enfin ces énigmes. Le futur Observatoire Vera-C.-Rubin, dont la première lumière est prévue pour l’été prochain, pourrait donner un nouvel élan à ces recherches.