Au Canada, une rivière entière a disparu en l’espace de 4 jours.
Ce phénomène, connu sous le nom de capture hydrographique ou, moins communément piratage de rivière (river piracy en anglais), se produit à l’endroit où le flux d’une rivière est capturé par une autre. Les données historiques suggèrent qu’il faut en général plusieurs milliers d’années pour que le processus se produise, mais dans ce cas précis, la rivière Slims (alimentée par le Glacier Kaskawulsh au Canada) a été capturée en seulement quatre jours.
Un chercheur décrit cet événement comme « géologiquement instantané et… susceptible d’être permanent ». En effet, il s’agit de la première capture hydrographique de rivière connue de la période moderne et surtout le premier qui résulte directement du réchauffement climatique, comme l’ont expliqué les chercheurs dans l’étude parue le lundi 17 avril 2017 dans la revue Nature Geoscience.
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« Des géologues ont déjà constaté des captures hydrographiques, mais personne à notre connaissance n’a documenté cela durant notre époque », explique le géoscientifique Dan Shugar, de l’Université de Washington Tacoma. « Les gens avaient examiné le bilan géologique – il y a des milliers ou des millions d’années en arrière – mais pas au 21ème siècle, lorsque pourtant, cela se produit sous notre nez », ajoute-t-il.
Shugar et son équipe de chercheurs se sont rendus à la rivière Slims lors d’une expédition sur le terrain en août dernier. Mais lorsqu’ils sont arrivés sur place, ils ont constaté que la rivière, qui s’étendait auparavant sur environ 480 mètres de large, avait quasiment disparu. « Il n’y avait guère de flux de quoi que ce soit. C’était essentiellement un petit lac long et mince », explique Shugar. « L’eau avait de la peine à approcher (…) Et jours après jours, nous avons pu constater le niveau de l’eau baisser encore et encore », ajoute-t-il.
Les jauges de la rivière indiquaient que les niveaux d’eau avaient fortement diminué entre le 26 et le 29 mai 2016. Afin d’examiner où toute cette eau était allée, l’équipe a passé au peigne fin toute la région en utilisant des drones ainsi qu’un hélicoptère, et c’est là qu’ils ont pu déterminer qu’il s’agissait bien d’un phénomène de capture hydrographique.
Au cours des 300 à 350 dernières années, la rivière Slims a été alimentée par des eaux de fonte de l’un des plus grands glaciers du Canada, le Glacier Kaskawulsh. Mais comme ce dernier s’est beaucoup retiré à cause des périodes de fonte intenses durant ces dernières années, en raison du réchauffement de la planète, la glace fondue a creusé de nouveaux chemins à travers le glacier, renvoyant le flux d’eau vers le sud, par la rivière Kaskawulsh. Cela signifie que, au lieu de se retrouver dans la mer de Bering par le biais du lac Kluane, l’eau de fonte se déplace à présent différemment, en direction du sud-est, et termine finalement sa course dans l’océan Pacifique.
Il s’agit d’un tournant important. Non seulement car c’est la première fois que ce phénomène se produit de manière si rapide, mais également car c’est le tout premier cas où les scientifiques pensent que celui-ci a été provoqué en raison des changements climatiques causés par l’homme.
« L’événement est un peu idiosyncratique, compte tenu de la situation géographique particulière dans laquelle il s’est produit », explique John Clague, un membre de l’équipe de l’Université Canada’s Simon Fraser. « Mais dans un sens plus large, il souligne les énormes changements que les glaciers traversent dans le monde en raison des changements climatiques », ajoute-t-il.
Bien que les zones entourant la rivière Slims ne soient pas très habitées par les humains, les chercheurs disent que les effets du réacheminement auront d’énormes conséquences sur les écosystèmes naturels environnants et pourraient affecter l’approvisionnement en eau dans la région. « Bien qu’une rivière glaciaire qui change de direction au Yukon puisse ne pas sembler une affaire particulièrement importante, elle reste une source d’eau pour beaucoup de gens », explique la géoscientifique Rachel M. Headley de l’Université du Wisconsin-Parkside, qui n’était pas impliquée dans l’étude. « En plus, les sédiments et les nutriments que transportent les rivières des glaciers peuvent influencer les environnements écologiques terrestres, ainsi que l’agriculture », ajoute-t-elle.
Compte tenu de l’emplacement particulier du glacier de Kaskawulsh, l’équipe de scientifiques suggère que d’autres glaciers fondants ne reproduiront pas nécessairement des cas semblables, mais que cela pourrait se produire. Dans tous les cas, ce phénomène rappelle un autre élément important à prendre en compte : le réchauffement climatique peut produire des événements dramatiques, rapides et difficiles à prévoir. « Jusqu’à présent, une grande partie du travail des scientifiques concernant les glaciers et les changements climatiques ont été axés sur l’élévation du niveau de la mer », explique Shugar. « Notre étude démontre qu’il peut y avoir d’autres effets non anticipés de la fonte glaciaire », conclut-elle.