La Grande Barrière de corail a connu sa plus grande perte annuelle de coraux vivants sur la majeure partie de son étendue depuis 39 ans, selon un récent rapport des autorités australiennes. Ces pertes s’expliquent principalement par les records de chaleur enregistrés au cours des deux dernières années. Les pertes successives à l’échelle mondiale suggèrent que les risques climatiques pour les récifs coralliens ont peut-être été sous-estimés.
Présents autour de plus de 100 pays et territoires, les récifs coralliens constituent des écosystèmes d’une importance capitale. Abritant plus de 25 % des espèces marines, ils jouent un rôle clé dans le maintien du réseau interconnecté de la biodiversité océanique. On estime qu’ils fournissent chaque année l’équivalent de 9 900 milliards de dollars de services écosystémiques. Ils agissent également comme des puits de carbone en absorbant l’excès de CO₂ présent dans les océans, ce qui leur vaut le surnom de « forêts tropicales marines ».
Ils subissent cependant de plein fouet les effets du réchauffement climatique, les coraux étant particulièrement sensibles à l’élévation prolongée de la température. S’ils peuvent survivre à de courts épisodes de chaleur, ils blanchissent au-delà d’un certain seuil. Ce blanchissement résulte directement du stress thermique : les coraux expulsent alors les algues qui leur confèrent leur couleur, ce qui les fragilise et les rend plus vulnérables aux maladies, tout en réduisant leur capacité à se reproduire.
Si les coraux peuvent se rétablir après un épisode de blanchissement, le stress répété, combiné à une plus grande fragilité, finit par les tuer. Les deux années précédentes ont enregistré des records de chaleur sans précédent, et les coraux disparaissent à un rythme alarmant à l’échelle mondiale. D’après l’Observatoire des récifs coralliens de l’Administration américaine des océans et de l’atmosphère (NOAA), le stress thermique de 2023-2024 a touché près de 84 % des récifs coralliens de la planète, répartis dans au moins 83 pays et territoires.
Un épisode de blanchissement sans précédent
Cet épisode de blanchissement a débuté en janvier 2023 et a été officiellement déclaré crise mondiale en avril 2024. Surpassant de loin le précédent épisode mondial de 2014-2017 (68,2 % de coraux blanchis), il s’agit du quatrième blanchissement corallien massif connu et du plus intense jamais enregistré à l’échelle mondiale.
Dans son dernier rapport, l’Institut australien des sciences marines (AIMS) indique que la Grande Barrière de corail a subi des pertes encore plus importantes à la suite du réchauffement sans précédent des océans en 2023 et 2024. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce récif emblématique est considéré comme le plus grand écosystème vivant au monde.
« Il s’agit d’impacts substantiels et de preuves que la fréquence croissante du blanchissement des coraux commence réellement à avoir des effets néfastes sur la Grande Barrière de corail », explique Mike Emslie, responsable du programme de surveillance à long terme de l’agence de recherche marine tropicale, à Phys.org. « Bien qu’il y ait encore beaucoup de couverture corallienne, ce sont les déclins les plus marqués que nous ayons observés en une année de suivi », ajoute-t-il.
Un déclin mesuré à grande échelle
La Grande Barrière de corail, plus vaste récif corallien de la planète, couvre quelque 344 000 kilomètres carrés et s’étend sur 1 500 kilomètres le long de la côte du Queensland, dans le nord-est de l’Australie. Pour mener leur étude, les chercheurs de l’AIMS l’ont divisée en trois zones de taille comparable : nord, centre et sud. Les données ont été recueillies sur 124 récifs entre août 2024 et mai 2025.
Les chercheurs ont constaté que les pertes de coraux vivants enregistrées dans les zones nord et sud étaient les plus importantes observées en une seule année depuis le début des mesures, en 1986. La couverture moyenne de coraux durs dans la région sud est ainsi passée de 38,9 % en 2024 à 26,9 % en 2025, soit une baisse relative de 30,6 %. Ce recul fait passer la couverture régionale sous la moyenne à long terme de 29,3 %. Dans le nord, elle a chuté de 39,8 % en 2024 à 30 % cette année, soit un recul de 24,8 %.
Dans la région centrale, la couverture est passée de 33,2 % à 28,6 %, soit une baisse relative de 13,9 %. Elle demeure toutefois supérieure à la moyenne à long terme (19,8 %). Malgré ces pertes, seuls deux des 124 récifs étudiés présentent une couverture de coraux durs inférieure à 10 %, tandis que la plupart présentent une densité comprise entre 10 % et 30 %.
Ces pertes massives coïncident avec les fortes chaleurs enregistrées les années précédentes. En 2024, la quantité de chaleur océanique a atteint son plus haut niveau depuis 65 ans. Les températures de surface de la mer ont battu des records de janvier à juin 2024, et se sont classées au deuxième rang des plus élevées jamais enregistrées au second semestre, après 2023.



Des impacts qui dépassent la Grande Barrière
Il convient de noter que les vagues de chaleur de 2023-2024 n’ont pas touché uniquement la Grande Barrière, mais aussi d’autres récifs autour de l’Australie. Certaines zones ont atteint un niveau d’alerte maximale. En mars dernier, des relevés aériens de 281 récifs du détroit de Torres ont par exemple révélé un blanchissement généralisé : sur ces 281 récifs, 78 affichaient un blanchissement supérieur à 30 %.
Dans l’ensemble, les données tendent à montrer que l’ampleur des impacts du réchauffement climatique sur les récifs a peut-être été mésestimée. « Les récifs coralliens d’eau chaude (tropicaux) devraient être exposés à un risque très élevé d’impact à 1,2 °C [de réchauffement], la plupart des données disponibles suggérant que les écosystèmes à dominante corallienne seront inexistants à cette température ou plus », précise le rapport de l’AIMS. « À ce stade, l’abondance des coraux sera proche de zéro dans de nombreuses régions », conclut-il.
Vidéo de présentation de l’étude :