On estime qu’une personne sur 160 dans le monde présente un trouble du spectre autistique. Les chercheurs savent depuis longtemps que l’amygdale, zone du cerveau impliquée notamment dans les émotions, est anormalement grande chez les enfants d’âge scolaire atteints d’autisme, mais on ne savait pas exactement quand cet élargissement se produit. Récemment, une équipe de chercheurs américains a démontré, pour la première fois, un lien entre le développement trop rapide de l’amygdale au cours de la première année de vie des bébés et le développement des symptômes de l’autisme.
Le 2 avril sera la journée mondiale de l’autisme — ou trouble du spectre de l’autisme (TSA). Si les recherches scientifiques pour mieux comprendre ce trouble ont largement progressé, en particulier au cours des vingt dernières années, les mécanismes biologiques impliqués et les causes de l’autisme restent encore mal compris.
En effet, les causes sont multifactorielles. L’impact d’une vulnérabilité génétique, vraisemblablement multigénique, a pu être mis en évidence dans différents travaux. Par ailleurs, des facteurs de risque environnementaux sont aujourd’hui étudiés quant à leur rôle possible dans le développement de l’autisme. Actuellement, la recherche tente de définir la part respective de ces différents facteurs de risque, ainsi que de leur interaction.
Malheureusement, les troubles du spectre autistique regroupent un ensemble d’affections rendant le diagnostic fonctionnel difficile. Effectivement, ces troubles sont certes caractérisés par un certain degré d’altération du comportement social et de la communication, mais d’autres caractéristiques existent, telles que des attitudes atypiques — difficultés à passer d’une activité à une autre, focalisation sur des détails, réactions inhabituelles à des sensations. Ceci induit un vaste spectre des besoins. L’OMS souligne que l’accès rapide à des interventions psychosociales peut améliorer la capacité de communication et le comportement social des enfants atteints d’autisme. Il y a un intérêt majeur de santé publique de pouvoir diagnostiquer, au plus tôt, les enfants pour mettre en place un accompagnement efficace.
Dans cet objectif, une équipe faisant partie du réseau d’étude sur imagerie cérébrale infantile des NIH Autism Centers of Excellence, dirigée par Mark Shen, de l’Université de Caroline du Nord et de l’étude Infant Brain Imaging Study (IBIS), a analysé les structures d’amygdales de bébés de moins d’un an. Leurs résultats sont publiés dans l’American Journal of Psychiatry.
Première année de vie : année décisive du diagnostic
Cette présente étude fait suite à un travail de recherche de 2009, du même centre d’étude de l’autisme de l’Université de Caroline du Nord et du réseau IBIS, paru dans les Archives of General Psychiatry. Entre autres, lors de l’étude précédente de Mosconi et al. (2009), la technique d’imagerie par résonance magnétique (IRM) a montré que le complexe amygdalien, groupe de neurones du cerveau en forme d’amande, était souvent plus gros chez des enfants de deux à quatre ans atteints d’autisme. En effet, l’amygdale est une petite structure profonde du cerveau, importante pour interpréter la signification sociale et émotionnelle de ce que nous voyons. Ceci inclut la reconnaissance des émotions sur les visages jusqu’à l’interprétation des images effrayantes, nous informant des dangers potentiels dans notre environnement. C’est ainsi qu’elle a été considérée, assez rapidement, comme jouant un rôle de premier plan dans les difficultés de comportement social qui sont au cœur de l’autisme.
Le Dr Matthew Mosconi, de l’Université de Caroline du Nord, co-auteur de l’étude de 2009, déclare : « L’autisme est un trouble neurodéveloppemental complexe impliquant de multiples systèmes cérébraux et les données obtenues par les IRM, les mesures de la circonférence de la tête ainsi que des études post mortem indiquent qu’un cerveau surdimensionné est une caractéristique de l’autisme ». Les chercheurs ont notamment souligné que la croissance du complexe amygdalien chez les autistes de deux ans est disproportionnée par rapport à la croissance de leur cerveau, et reste ainsi à l’âge de quatre ans. Ceci laisse penser que ces altérations de la structure cérébrale pourraient être liées à la cause principale de l’autisme, selon ces chercheurs. Ils concluent : « Des altérations du complexe amygdalien dans les premières phases du développement de l’enfant perturbent la bonne interprétation du sens des expressions faciales et des interactions sociales ».
S’appuyant sur ces résultats, l’équipe de M. Shen a analysé les IRM de 408 nourrissons, dont 270 étaient susceptibles de développer un TSA, car ayant un frère plus âgé atteint de TSA ; 109 nourrissons au développement typique et 29 nourrissons atteints du syndrome de l’X fragile — une forme héréditaire de déficience intellectuelle et du développement.
Les chercheurs ont effectué des IRM des enfants à 6, 12 et 24 mois, lors de leur phase de sommeil naturel. Dans un premier temps, ils ont découvert que les 58 nourrissons qui ont développé un TSA avaient une amygdale de taille normale à 6 mois, mais une amygdale agrandie à 12 mois et 24 mois. Dans un second temps, ils ont remarqué que plus le taux de prolifération de l’amygdale est rapide, plus la gravité des symptômes de TSA est grande à 24 mois. À l’inverse, les nourrissons atteints du syndrome de l’X fragile n’avaient aucune différence dans la croissance de l’amygdale. Cependant, ils présentaient un élargissement d’une autre structure cérébrale, le caudé, semblant lié à une augmentation des comportements répétitifs.
Ainsi, la prolifération de l’amygdale commence entre 6 et 12 mois, avant l’âge où les comportements caractéristiques de l’autisme émergent pleinement, permettant un diagnostic plus précoce. Avant 6 mois, les bébés ne présentent aucun signe annonciateur, en matière de comportement ou de déclin cognitif. Ce dernier s’amorce progressivement entre 6 et 24 mois, l’âge auquel ils ont reçu un diagnostic de trouble du spectre autistique dans cette étude.
Mark Shen déclare dans un communiqué : « Nous avons constaté que le taux de prolifération d’amygdales au cours de la première année est lié aux déficits sociaux de l’enfant à l’âge de deux ans. Plus l’amygdale s’est développée rapidement pendant la petite enfance, plus l’enfant a montré de difficultés sociales lorsqu’il a reçu un diagnostic d’autisme un an plus tard ».
Le mécanisme induisant le développement rapide de l’amygdale reste flou
Néanmoins, des études antérieures, menées par l’équipe IBIS et d’autres, ont révélé que même si les déficits sociaux caractérisant l’autisme ne sont pas présents à l’âge de six mois, les nourrissons qui développent plus tard l’autisme ont des problèmes avec la façon dont ils perçoivent les stimuli visuels dans leur environnement. Les auteurs émettent l’hypothèse que ces premières difficultés de traitement des informations visuelles et sensorielles peuvent exercer un stress accru sur l’amygdale, entraînant sa prolifération.
D’ailleurs, l’implication de la prolifération de l’amygdale, liée au stress chronique, a été démontrée lors d’études concernant d’autres troubles psychiatriques (par exemple la dépression et l’anxiété). Cela peut fournir un indice pour comprendre cette observation chez les nourrissons qui développeront plus tard l’autisme.
Joseph Piven, co-auteur et professeur de psychiatrie et de pédiatrie à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, ajoute : « Notre recherche suggère qu’un moment optimal pour commencer les interventions et soutenir les enfants qui sont les plus susceptibles de développer l’autisme peut être au cours de la première année de vie. L’objectif d’une intervention présymptomatique pourrait être d’améliorer le traitement visuel et sensoriel chez les bébés avant même que les symptômes sociaux n’apparaissent ».
Cette découverte de la prolifération de l’amygdale à partir de six mois, lors d’une cascade de changements cérébraux et comportementaux conduisant à l’autisme, ouvre la voie à un diagnostic précoce, ainsi qu’à une meilleure prise en charge des enfants à haut risque d’autisme. Les thérapies mises en place le plus tôt possible pourraient avoir les meilleures chances de fonctionner. Enfin, les résultats de l’étude suggèrent des cibles potentielles pour une intervention précoce (par exemple pour traiter la neuro-inflammation associée) susceptibles de modifier cette cascade de changements cérébraux et comportementaux pendant la petite enfance.