En 2020, des scientifiques ont proposé un nouveau modèle d’allumage pour la fusion nucléaire par confinement inertiel (FCI). La technique, qui comprend une sphère liquide de deutérium-tritium (DT) enveloppée dans une coque dynamique en mousse imbibée, pourrait considérablement optimiser l’allumage des réacteurs à fusion. Pour la première fois, elle a été éprouvée expérimentalement. Une avancée majeure vers une production énergétique propre, fiable et abordable.
Depuis plusieurs décennies, les scientifiques cherchent à reproduire la fusion nucléaire pour alimenter nos systèmes électriques. Considérée comme source d’énergie fiable et propre, il s’agit de la réaction thermonucléaire alimentant le Soleil en énergie. À terme, cette source d’énergie serait beaucoup plus abordable et neutre pour la planète que la plupart des sources actuelles.
En effet, les centrales nucléaires actuelles exploitent l’énergie de la fission, c’est-à-dire la désintégration d’atomes lourds en atomes plus légers. Cette réaction produit des déchets radioactifs à longue durée de vie et peut être sujette à des accidents catastrophiques. Fukushima en est l’exemple majeur le plus récent.
À l’inverse, la fusion nucléaire exploite l’énergie libérée par la combinaison d’isotopes très légers en atomes lourds. Contrairement à la fission, cette réaction ne produit quasiment pas de déchets radioactifs à longue durée de vie et est considérée comme étant beaucoup plus sûre — la réaction s’interrompt spontanément si le plasma ne respecte pas les seuils critiques de température et de densité. Un autre avantage non négligeable est également sa très faible empreinte carbone.
Des défis liés à l’instabilité du plasma
La plupart des expériences de fusion nucléaire se basent sur la fusion de deux isotopes d’hydrogène : le deutérium et le tritium. Comportant respectivement un et deux neutrons, ces isotopes sont portés à très haute température afin de former un plasma (constitué d’atomes ionisés et d’autres particules chargées). À l’instar des réactions thermonucléaires du Soleil, les isotopes fusionnent pour former des atomes d’hélium.
À noter que l’utilisation d’isotopes est avantageuse dans la mesure où leur fusion peut être générée à des conditions de températures et de densité inférieures à celles de l’hydrogène normal. Cependant, la stabilisation de la réaction représente un véritable défi pour les physiciens.
Il est particulièrement difficile de séquestrer du plasma au sein d’un champ magnétique confiné et très élevé et des températures supérieures à celles du Soleil (des centaines de millions de degrés). Le plasma est tellement sujet aux instabilités que les scientifiques n’ont jamais réussi à maintenir la fusion suffisamment longtemps pour en extraire plus d’énergie que ce qui a préalablement été fourni pour déclencher la réaction (selon un processus appelé allumage). En 2022, des chercheurs ont réussi à déclencher un allumage avec un maintien de réaction à rendement positif, mais n’ont pas pu rendre l’énergie de fusion produite viable pour la consommation de masse, notamment d’un point de vue technique et financier.
Dans une nouvelle expérimentation décrite dans la revue Physical Review Letters, des physiciens proposent de surmonter ces défis grâce à une approche innovante. La technique consiste à intégrer une coque dynamique à la place des cibles de bombardement laser conventionnelles — utilisés pour la FCI. « Cette expérience a démontré la faisabilité d’un concept de cible innovant, adapté à une production de masse abordable pour l’énergie de fusion inertielle », estime le chercheur principal de l’étude, Igor Igumenshchev de l’Université de Rochester.
Un procédé plus simple et moins coûteux
Dans l’approche conventionnelle FCI, la cible de bombardements laser à haute énergie est constituée d’une petite quantité de DT cryogénisée, à l’intérieur d’une coque sphérique. Au cours de ce processus, le confinement du combustible de fusion est réalisé par le biais de forces inertielles. Au contact du faisceau laser, la coque chauffée amène le combustible (DT) à des températures et pressions extrêmement élevées. Si les conditions sont remplies, la coque s’effondre et s’enflamme, induisant la fusion des isotopes.
Cependant, cette technique présente de nombreux inconvénients. Appliquée à une centrale de production énergétique, elle nécessiterait l’utilisation de près d’un million de cibles par jour. Non seulement leur production prendrait beaucoup de temps, mais les procédés cryogéniques régissant leur fabrication sont également coûteux.
Les coques dynamiques seraient plus faciles et moins coûteuses à produire. Les réactions les intégrant consistent à insérer des cibles liquides DT à l’intérieur des capsules en mousse imbibées. En étant bombardée par des faisceaux laser à haute énergie, la capsule se dilate pour former une coque fine, puis implose et s’effondre en s’enflammant. La cible étant liquide, la coque ne nécessite pas de processus cryogénique. La coque en plastique est modelée par le laser OMEGA, l’un des plus puissants au monde. Ce processus a permis d’obtenir une coque ayant la même densité que le combustible liquide DT.
En effet, en atteignant la capsule, le laser pénètre son centre et rebondit pour se réfléchir sur sa surface extérieure. Puis, le matériau choqué se dilate vers l’extérieur et la pression chute, sous l’effet de la pression d’ablation du laser. À ce stade, un choc de réglage est enclenché vers l’intérieur de la sphère, tout en soutenant la pression d’ablation. Ce choc comprime ensuite l’ablateur et le combustible et la capsule devient une coque fine. Dans un deuxième temps, la coque résultante est accélérée et comprimée par le laser de modelage à haute énergie (OMEGA), enclenchant la réaction de fusion.
Mis à part sa simplicité de production, la coque dynamique ne nécessite pas de tube de remplissage et présente une plus grande symétrie dans son implosion. Elle manifeste également moins de sensibilité par rapport à l’empreinte laser et à l’incertitude liée à l’interaction avec la glace (car il n’y a pas de cryogénisation). « La combinaison de ce concept de cible avec un système laser hautement efficace actuellement en cours de développement au LLE, ouvrira une voie très attrayante vers l’énergie de fusion », suggère Igumenshchev.
Toutefois, afin d’obtenir des réactions de fusion pouvant être appliquées à des centrales, les impulsions laser devront être plus énergétiques et plus longues. Néanmoins, l’étude démontre la faisabilité de ce nouveau concept.