Aujourd’hui, il est connu que l’axe cerveau-intestin régit un grand nombre de processus métaboliques, qui peuvent être influencés par le microbiote intestinal. Il est alors logique que l’état de ce dernier soit étroitement lié à la santé globale de notre organisme, et notamment à l’évolution des maladies neurodégénératives. Une nouvelle étude parue dans la revue Communications Biology met en évidence une bactérie probiotique spécifique ralentissant la neurodégénération due à la sclérose latérale amyotrophique (SLA), chez le ver C. elegans. Cette bactérie pourrait ainsi constituer une alternative thérapeutique prometteuse (sous forme de complément alimentaire par exemple) pour les patients souffrant de SLA, mais également pour d’autres maladies neurodégénératives.
Également appelée maladie de Charcot, la SLA se caractérise par une dégénérescence des neurones moteurs. De ce fait, les personnes en souffrant subissent une paralysie progressive, allant jusqu’à la paralysie totale au stade avancé de la maladie, puis à la mort. D’origine génétique, la mutation d’un gène appelé FUS serait responsable des cas les plus graves : les symptômes peuvent alors débuter à un âge précoce (avant 40 ans) et l’espérance de vie des patients ne dépasse généralement pas les 3 à 5 ans après le diagnostic.
En temps normal, ce gène présent dans le noyau code en effet la synthèse d’une protéine de régulation de l’ADN. La production de la FUS est autorégulée, c’est-à-dire qu’elle code à la fois une protéine et la régulation de sa propre synthèse en fonction de la quantité préalablement présente dans le noyau. Tant que le gène reste à l’intérieur du noyau, son taux est stable, tandis que sa délocalisation hors du noyau (due à la mutation) provoque un signal d’alerte engendrant sa surproduction. En cas de SLA, il y a ainsi une production continue de FUS, sortant constamment du noyau et s’accumulant au niveau du cytoplasme. Il s’agit ainsi d’un « cercle vicieux » engendrant une dégénérescence irréversible des motoneurones.
Des études récentes ont montré que la perturbation du microbiote intestinal (ou dysbiose) est probablement impliquée dans l’apparition et l’évolution de certaines maladies neurodégénératives. Ainsi, l’hygiène de vie et l’alimentation pourraient influencer la progression de ces pathologies. En effet, les métabolites produits par le microbiote peuvent activer des voies de métabolisme des neurotransmetteurs. Son altération peut engendrer une hyperperméabilité intestinale, favorisant la neuroinflammation et la neurodégénérescence.
Les chercheurs de la nouvelle étude, issus de l’Université de Montréal (Canada), ont tenté une stratégie thérapeutique impliquant le microbiote intestinal. L’identification de souches bactériennes neuroprotectrices pourrait être une alternative prometteuse pour le traitement de la SLA. De plus, les probiotiques sont beaucoup moins susceptibles de provoquer des effets secondaires, en comparaison aux molécules thérapeutiques de synthèse.
La bactérie Lacticaseibacillus rhamnosus HA-114 a été sélectionnée pour son efficacité unique (par rapport aux autres familles de la même souche) à ralentir l’évolution de la SLA. Elle agit notamment au niveau du métabolisme des acides gras. « La particularité de HA-114 réside dans sa teneur en acides gras », explique dans un communiqué Alex Parker, professeur à l’Université de Montréal et auteur principal de la nouvelle étude. « Lorsque nous l’ajoutons au régime alimentaire de notre modèle animal, nous remarquons qu’il supprime la progression de la dégénérescence des motoneurones », révèle-t-il.
Deux gènes induisant un effet neuroprotecteur
Afin d’étudier l’effet neuroprotecteur d’un complément alimentaire à base de probiotiques, les chercheurs de la nouvelle étude ont testé 13 souches bactériennes différentes, ainsi que trois combinaisons de souches. Le complément alimentaire a ensuite servi de nourriture à des vers C. elegans — ne mesurant qu’un millimètre, mais ayant près de 60% de génome en commun avec l’Homme. Dans le cadre de l’étude, les nématodes ont été génétiquement modifiés de sorte à développer les symptômes et les caractéristiques de la SLA.
La bactérie HA-114 s’est alors démarquée en réduisant considérablement les troubles moteurs liés à la SLA chez les modèles animaux, ainsi que les troubles liés à la maladie de Huntington. En décryptant les mécanismes génétiques qui seraient à l’origine de ces effets neuroprotecteurs, les chercheurs ont identifié deux gènes clés (acdh-1 et acs-20), existant sous des formes équivalentes chez l’homme. Chez ce dernier en effet, ces équivalents sont responsables du métabolisme des lipides et de la bêta-oxydation, un processus par lequel les acides gras sont transformés en énergie dans les mitochondries.
D’après Parker, les acides gras fournis par la bactérie pénètrent les mitochondries par le biais d’une voie indépendante et « rétablissent l’équilibre du métabolisme énergétique altéré dans la SLA, et entraînent une forte diminution voire un arrêt de la neurodégénérescence ».
En prochaine étape, les chercheurs testeront l’efficacité de leur nouveau complément alimentaire chez des modèles animaux plus complexes, comme les souris. Des essais cliniques impliquant 100 volontaires devraient également être menés début 2023.