Le cancer de la prostate est la tumeur maligne non cutanée la plus courante chez les hommes dans les pays développés, avec plus de 250 000 décès par an dans le monde et 1,41 million de cas. Le diagnostic repose principalement sur une biopsie lorsque le cancer est suspecté. Malheureusement, aucune donnée ne permet d’avoir accès à l’évolution clinique potentielle de ce cancer, c’est-à-dire de déterminer si c’est une forme agressive ou non. Pouvoir évaluer quel patient traiter en urgence, tout en épargnant aux autres des traitements inutiles, est un défi majeur dans l’approche thérapeutique de ce cancer. Récemment, les scientifiques semblent avoir identifié des bactéries urinaires liées au cancer agressif de la prostate. La découverte pourrait fournir de nouvelles façons de repérer et même de prévenir ces tumeurs agressives.
Le cancer de la prostate survient le plus souvent chez des hommes âgés : 66% des cancers de la prostate apparaissent chez les hommes de 65 ans et plus. Il est exceptionnel avant 50 ans. Le cancer de la prostate est une tumeur maligne qui se développe à partir des tissus de la prostate, organe du tractus urinaire et reproducteur masculin. Le plus souvent, la tumeur en cause est un adénocarcinome, mais on rencontre également des sarcomes et des carcinomes de la prostate. La principale caractéristique de ce cancer est son évolution généralement lente, sur plusieurs années.
D’ailleurs, la stadification du cancer est un moyen, à la fiabilité relative, de distinguer les tumeurs malignes (cancéreuses) des tumeurs bénignes. Ces dernières, même si elles peuvent atteindre des tailles parfois impressionnantes, restent localisées dans leurs tissus d’origine — une part des patients diagnostiqués décèderont d’autres causes cliniques. Plus un cancer est étendu, plus il est compliqué à traiter, car il est susceptible de s’être infiltré dans davantage de tissus. Il risque alors d’atteindre des organes vitaux inéligibles à la chirurgie radicale et/ou de se disséminer à travers une multitude de petites cellules impossibles à localiser, ce qui empêche à nouveau toute prise en charge chirurgicale. Il est donc primordial de pouvoir évaluer, lors du diagnostic, l’agressivité de la maladie à travers la rapidité de son développement et d’estimer les risques de récidive qui conditionnent l’espérance de vie du patient.
Dans ce contexte, des chercheurs de l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni, ont trouvé un lien entre des bactéries et les formes agressives de cancer de la prostate. Ces découvertes pourraient aider à ouvrir la voie à des traitements ciblant ces bactéries particulières et ralentir ou prévenir le développement d’une forme agressive de la maladie. L’étude est publiée dans la revue European Urology Oncology.
Une percée révolutionnant l’approche du cancer de la prostate
La présente étude s’appuie sur des données antérieures établissant le rôle de Helicobacter pylori dans le développement des ulcères de l’estomac et du cancer gastrique, incitant à la recherche d’une implication microbienne dans le développement d’autres cancers. Nous savons, par exemple, que certains types de virus HPV peuvent causer le cancer du col de l’utérus. De même, les bactéries sont connues pour être présentes dans le tractus urogénital et dans le tissu prostatique. Enfin, les bactéries isolées de la prostate peuvent provoquer une inflammation chez les modèles animaux. Colin Cooper, chercheur principal du projet, explique dans un communiqué : « Nous voulions savoir si les bactéries pouvaient être liées à la façon dont le cancer de la prostate se développe et se propage ».
Dans cet objectif, l’équipe a travaillé avec des collègues du Norfolk and Norwich University Hospital, du Quadram Institute et d’autres collaborateurs, pour analyser des échantillons d’urine ou de tissus de plus de 600 patients atteints ou non d’un cancer de la prostate. Ce faisant, ils ont développé des méthodes afin de déceler les bactéries associées au cancer, comme l’explique la Dr Rachel Hurst, première auteure de ces travaux et également de la Norwich Medical School de l’UEA : « Pour détecter la bactérie, nous avons utilisé de nombreuses approches différentes, notamment le séquençage du génome entier des échantillons de tissus, une méthode qui est de plus en plus utilisée à mesure que nous passons à une ère de médecine génomique. Lorsque des échantillons de tumeurs sont séquencés, l’ADN de tous les agents pathogènes présents est également séquencé, ce qui permet de détecter les bactéries ».
Ainsi, les chercheurs ont identifié cinq types (genres) de bactéries liées au cancer agressif de la prostate, toutes anaérobiques — pouvant se développer sans oxygène. Ce sont Anaerococcus, Peptoniphilus, Porphyromonas, Fenollaria et Fusobacterium, regroupés sous le nom « ensemble de biomarqueurs de bactéries anaérobies », ou ABBS, dont trois espèces entièrement nouvelles. Les chercheurs ont nommé deux de ces nouvelles espèces de bactéries d’après deux des bailleurs de fonds de l’étude : Porphyromonas bobii , d’après le Bob Champion Cancer Trust et Varibaculum prostatecancerukia, d’après Prostate Cancer UK.
Le Dr Hurst souligne : « Lorsque l’une de ces bactéries anaérobies spécifiques était détectée dans les échantillons du patient, cela était lié à la présence de grades plus élevés de cancer de la prostate et à une progression plus rapide vers une maladie agressive ».
Des bactéries impliquées dans le développement du cancer ou simples marqueurs ?
Néanmoins, l’étude ne prouve pas que les bactéries entraînent ou exacerbent le cancer de la prostate. Rachel Hurst remarque qu’il est encore trop tôt pour conclure et que les résultats soulèvent de nombreuses autres questions. Même si le lien entre ces bactéries et le cancer de la prostate est vérifié dans de futures études, on ne sait pas encore si la relation est causale. Par exemple, les hommes atteints d’un cancer de la prostate plus agressif peuvent avoir des déficiences du système immunitaire qui permettent à certaines bactéries de se développer.
Mais les chercheurs soupçonnent fortement les microbes d’être impliqués, tout comme les infections à Helicobacter pylori, mentionnées plus haut. Les informations génétiques, recueillies au cours de l’étude ont déjà permis aux scientifiques de reconstituer leur comportement dans le corps, y compris les toxines et autres substances qu’ils pourraient libérer. Rachel Hurst ajoute : « Nous avons également identifié les mécanismes biologiques potentiels de la façon dont ces bactéries peuvent être liées au cancer. Parmi les choses que nous ne savons pas encore, il y a comment les gens captent ces bactéries, si elles causent le cancer ou si une mauvaise réponse immunitaire permet la croissance des bactéries ». Cependant, cela a amené les scientifiques à développer une demi-douzaine d’hypothèses sur la façon dont ces bactéries pourraient causer le cancer de la prostate, mais tout cela reste spéculatif à ce stade. Maintenant qu’une association claire a été signalée, le véritable travail d’exploration des mécanismes de causalité potentiels peut commencer.
Toutefois, ces découvertes pourraient être à la base d’un test de diagnostic, afin d’aider les médecins et les patients à identifier le cancer de la prostate agressif avant qu’il ne se développe et mieux guider les décisions de traitement. Le co-auteur Daniel Brewer explique : « Savoir quand nous pouvons regarder et attendre ou si nous devons commencer un traitement est un défi majeur pour les personnes atteintes d’un cancer de la prostate. Si nous pouvons cibler des cancers agressifs tout en épargnant aux autres des traitements inutiles, cela améliorera considérablement la façon dont nous gérons cette maladie ».
Un potentiel traitement antibiotique
Comme le commentent les chercheurs, les implications de la découverte d’une cause bactérienne du cancer de la prostate seraient énormes. La recherche pourrait « révolutionner » son traitement. Cooper explique : « Si vous saviez avec certitude qu’une espèce de bactérie cause le cancer de la prostate, vous pourriez trouver un antibiotique pour l’éliminer et cela empêcherait la progression ». Néanmoins, les obstacles sont nombreux avant d’arriver à un antibiotique efficace et sûr. D’une part, les antibiotiques pénètrent très mal au niveau de la prostate, d’autre part, l’antibiotique choisi ne doit cibler que certaines bactéries, sans risque d’aggraver la pathologie contre laquelle elles sont utilisées.
Davantage d’études sont donc nécessaires pour établir comment ces bactéries sont impliquées dans la croissance du cancer de la prostate. Si les scientifiques concluent un jour que les bactéries sont responsables de la présence de la maladie, on pourra envisager de combattre cette dernière ou de la prévenir avec des antibiotiques. S’ils concluent plutôt qu’elles sont présentes dans l’urine après le début du cancer, elles pourront devenir des biomarqueurs qui s’ajouteront à l’arsenal de tests de dépistage dont disposent les médecins. Cette recherche a le potentiel de réduire l’impact de ces cancers sur la société.