Alors qu’elle avait commencé à retirer de sa base les images générées par intelligence artificielle, la plateforme Shutterstock a finalement annoncé qu’elle collaborerait désormais avec la société OpenAI pour proposer à ses clients des images créées artificiellement — en parallèle des images fournies par de vrais photographes ou graphistes. Si Shutterstock a prévu une forme d’indemnisation des artistes, la nouvelle suscite un certain scepticisme parmi les professionnels du secteur.
Shutterstock est l’une des principales plateformes d’images au monde : grâce à une communauté de plus de deux millions de contributeurs, des centaines de milliers d’images sont ajoutées à la base chaque semaine ; elle compte actuellement plus de 425 millions d’images et plus de 27 millions de clips vidéos. La société vient de passer un accord avec OpenAI dans le but d’offrir à ses clients la possibilité de générer instantanément des images en fonction des critères qu’ils saisissent. Comment ? Grâce à DALL-E, le programme de text-to-image développé par OpenAI — et dont la deuxième version est sortie récemment.
Mais comme toute intelligence artificielle, DALL-E doit être entraînée pour atteindre le meilleur de ses performances. Shutterstock a ainsi prévu d’indemniser les auteurs des images qui seront utilisées pour cet apprentissage. « Les moyens d’expression de la créativité évoluent et se développent constamment. Nous reconnaissons qu’il est de notre grande responsabilité d’embrasser cette évolution et de veiller à ce que la technologie générative qui stimule l’innovation soit fondée sur des pratiques éthiques », a déclaré Paul Hennessy, directeur général de Shutterstock, dans un communiqué.
Des conditions d’indemnisation qui restent floues
À noter que cette annonce survient quelques jours seulement après la conférence annuelle de Microsoft dédiée à l’innovation (Ignite 2022), lors de laquelle la firme de Redmond a présenté plusieurs solutions et outils dédiés à la conception graphique. Il se trouve que DALL-E 2 va être intégré à des applications Microsoft accessibles au grand public comme Microsoft Designer (disponible dans Microsoft 365) ou Image Creator (dans Microsoft Bing).
La deuxième version de DALL-E, dévoilée au mois d’avril, génère des images d’un réalisme à couper le souffle. Outre une résolution encore plus précise, le programme est désormais capable d’apporter des modifications à une image existante à partir d’indications en langage naturel, tout en respectant les jeux d’ombres et de lumière. Il repose sur un processus appelé « diffusion », qui part d’un motif de points aléatoires et modifie progressivement ce motif vers une image lorsqu’il reconnaît des aspects spécifiques de cette image.
Dans les mois à venir, les clients de Shutterstock recevront un accès direct à ces capacités de génération d’images, tandis que les contributeurs de la plateforme seront rémunérés tous les six mois via un fonds d’indemnisation « pour le rôle que leur contenu a joué » : « Shutterstock a également créé le cadre permettant de fournir une compensation supplémentaire aux artistes dont les œuvres ont contribué à développer les modèles d’IA. La société vise également à rémunérer ses contributeurs sous forme de redevances lorsque leur propriété intellectuelle est utilisée », peut-on lire dans le communiqué.
La société n’a toutefois pas précisé quel pourcentage des revenus reviendrait aux contributeurs, ni comment les contributions seraient réparties. Ainsi, certains demeurent sceptiques. En pratique, il sera en effet difficile de déterminer quelles données d’entrée ont été référencées pour créer un élément de sortie donné…
Getty Images prône l’édition plutôt que la création
Face à ce flou juridique concernant les droits d’auteur d’une image créée artificiellement, les entreprises étaient jusqu’à présent réticentes à leur usage — et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Shutterstock avait cherché à les éliminer de sa base. Il se pourrait que la situation devienne plus claire dans les prochains mois.
Un porte-parole de Shutterstock a déclaré que la société continuerait d’interdire l’upload d’œuvres générées par une IA, et que sa collaboration avec OpenAI était une tentative d’adopter les nouvelles technologies de manière éthique. Il a été conclu que les images utilisées pour former l’IA proviennent exclusivement des archives de Shutterstock et la société a déclaré qu’elle souhaitait s’assurer que la totalité des contributeurs soit protégée et rémunérée.
À noter que l’un des concurrents de Shutterstock, Getty Images, a pris exactement le même virage : alors qu’elle bannissait le mois dernier la vente d’images créées par une IA, la société vient d’annoncer sa collaboration avec la start-up israélienne BRIA. Encore une fois, ce partenariat a été motivé par la perspective de pouvoir offrir aux utilisateurs la possibilité de créer des images sur mesure, répondant à des besoins spécifiques, à l’aide d’outils intuitifs. Mais selon le PDG de l’entreprise, Craig Peters, l’approche de Getty Images est différente : elle ne propose pas de créer une image de A à Z, mais de transformer une image existante — ce qui, selon le PDG, est une utilisation plus « éthique » de l’IA.
« Shutterstock et Getty ne sont plus seulement des hébergeurs, où les créateurs peuvent vendre les droits de leurs œuvres d’art numériques réalisées à l’aide d’outils externes de conversion de texte en image. Ils peuvent désormais participer eux-mêmes à la création et à la commercialisation du contenu en fournissant le logiciel », résume un article du Register.
Aujourd’hui, les photographes et artistes craignent que leurs revenus, déjà ponctionnés par les plateformes de contenus, ne diminuent encore — les clients préférant sans doute créer à la volée l’image correspondant exactement à leurs besoins plutôt que d’effectuer une recherche dans le catalogue. Adrian Alexander Medina, rédacteur en chef du site web littéraire et du magazine Aphotic Realm, évoque un risque d’ostracisation des photographes et illustrateurs professionnels.
Par ailleurs, ces technologies de création artistique sont alimentées d’une telle quantité de données qu’elles finissent souvent par imiter le style de certains artistes. La nuance qui les distingue du plagiat pur et simple est encore floue… Il est certain que de futurs défis juridiques seront à relever à mesure que ces technologies seront déployées.