Si la matière noire, censée représenter environ 27% de la densité d’énergie de l’Univers, échappe toujours aux astrophysiciens, il en va de même pour environ 40% de la matière baryonique de l’Univers. Censée se cacher dans le réseau de filaments galactiques composant la toile cosmique, cette matière émet un signal si faible que sa détection a longtemps été impossible. Mais récemment, une équipe de chercheurs aurait enfin mis la main dessus grâce aux rayons X. Si des mesures antérieures avaient déjà circonscrit le périmètre de recherche, il s’agit de la première preuve observationnelle concrète de la présence de cette matière.
La nucléosynthèse primordiale est un processus prenant place environ 180 secondes après le Big Bang et au cours duquel, grâce aux conditions extrêmes de température et de densité, les baryons s’assemblent pour former les premiers noyaux légers (deutérium, hélium 3, lithium 7, etc.). Des calculs effectués grâce aux paramètres de la nucléosynthèse primordiale contraints par l’observation, permettent de déduire le nombre baryonique et donc la fraction de matière baryonique. À partir de ces informations, les scientifiques peuvent donc déduire une estimation du nombre de baryons dans l’Univers local.
Or, le nombre de baryons déduit des équations du modèle standard de la cosmologie ne correspond pas aux observations. En effet, comparé au recensement des baryons effectué au sein des étoiles, des nébuleuses, des galaxies et des amas de galaxies de l’Univers local, ce nombre théorique est deux fois plus élevé. En outre, grâce à l’étude du fond diffus cosmologique, les missions WMAP et Planck ont pu fournir une valeur relativement précise du paramètre de densité critique, indiquant un défaut d’environ 30 à 40% des baryons.
De la matière baryonique cachée dans les filaments galactiques
Les astrophysiciens considèrent donc qu’environ 40% de la matière ordinaire qui compose les étoiles, les planètes et les galaxies reste non détectée, cachée sous la forme d’un gaz chaud dans le réseau cosmique complexe. Mais des chercheurs de l’Institut d’Astrophysique Spatiale (Université Paris-Saclay) pourraient avoir détecté, pour la première fois, cette matière cachée grâce à une analyse statistique innovante de données vieilles de 20 ans. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Les galaxies sont réparties dans tout l’Univers sous la forme d’un réseau complexe de nœuds reliés par des filaments, qui sont à leur tour séparés par des vides. Ceci est connu sous le nom de toile cosmique. On pense que les filaments contiennent presque toute la matière ordinaire (dite baryonique) de l’Univers sous la forme d’un gaz chaud diffus. Cependant, le signal émis par ce gaz diffus est si faible qu’en réalité 40 à 50% des baryons ne sont pas détectés.
Les baryons manquants révélés grâce aux rayons X
Ce sont les baryons manquants, cachés dans la structure filamentaire de la toile cosmique, que Nabila Aghanim, chercheuse à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (Université Paris-Saclay) et Hideki Tanimura, avec leurs collègues, tentent de détecter. Dans une nouvelle étude, financée par le projet ERC ByoPiC, ils présentent une analyse statistique qui révèle, pour la première fois, l’émission de rayons X des baryons chauds dans les filaments.
Cette détection est basée sur le signal de rayons X présent dans les données d’observation ROSAT2, provenant d’environ 15’000 filaments cosmiques à grande échelle identifiés dans l’étude de la galaxie SDSS3. L’équipe a utilisé la corrélation spatiale entre la position des filaments et l’émission de rayons X associée pour fournir la preuve de la présence de gaz chaud dans la toile cosmique et pour la première fois, mesurer sa température.
Ces résultats confirment les analyses antérieures de la même équipe de recherche, basées sur la détection indirecte des gaz chauds dans la toile cosmique grâce à son effet sur le fond diffus cosmologique. Cela ouvre la voie à des études plus détaillées, utilisant des données de meilleure qualité, pour tester l’évolution du gaz dans la structure filamentaire du réseau cosmique.