Les cryptomonnaies connaissent actuellement un essor impressionnant, et le bitcoin a récemment profité d’un élan supplémentaire suite à l’achat de 1.5 milliard de dollars de bitcoins par Elon Musk. Face à ce gain de popularité, de nombreuses personnalités se sont exprimées, critiquant la nature même des cryptomonnaies, sans pour autant forcément exprimer des arguments valables. Cependant, depuis des années, des experts pointent du doigt le système sur lequel est basée (presque) toute cryptomonnaie, la blockchain, notamment le fait que cette dernière nécessite une puissance de calcul toujours plus conséquente — la rendant toujours plus gourmande en énergie.
L’exploitation « minière » du bitcoin (le minage) et d’autres cryptomonnaies pourrait avoir de graves répercussions environnementales et économiques, qui risquent de se répercuter sur d’autres industries et pourraient même affecter la sécurité mondiale, affirme une nouvelle étude axée sur l’envolée du prix des cryptomonnaies.
Une étude réalisée en 2014 par des chercheurs irlandais qualifiait déjà de « gouffre énergétique » tout système fondé sur le concept de blockchain. L’utilisation de la preuve de travail induit une consommation de temps de calcul et donc d’électricité (par la mobilisation de serveurs ou de réseaux d’ordinateurs individuels) qui augmente exponentiellement dans le monde. D’ailleurs, ce système a été qualifié de désastre environnemental par Hyun Song Shin, un théoricien économique et économiste financier sud-coréen de renommée internationale.
1% de l’énergie mondiale est consommée par le bitcoin
Selon la nouvelle étude, le bitcoin, ou plutôt le minage du bitcoin, utilise environ 1% de l’énergie mondiale à ce jour. Et s’il fallait compter l’ensemble des cryptomonnaies, ce chiffre serait bien plus élevé. Rédigée par l’économiste financier Alex de Vries et publiée dans la revue Joule, l’étude examine la relation entre le prix du bitcoin (qui s’élève actuellement à plus de 48 000 euros) et les coûts cachés de la monnaie qui en résultent.
Pour de Vries, le point le plus urgent et le plus marquant à considérer en ce qui concerne la hausse stratosphérique du bitcoin est son impact sur l’environnement. « Ce que l’on peut attendre, c’est que le réseau finisse par consommer la même quantité d’électricité que tous les centres de données, au niveau mondial. L’empreinte carbone associée à cette consommation sera de la taille de celle de Londres », explique de Vries à Technology Networks.
Le cryptage du bitcoin exige que les utilisateurs « exploitent » la monnaie en déployant des ressources informatiques pour résoudre des équations mathématiques complexes. Les bitcoins sont distribués de manière régimentée et aléatoire, ce qui signifie que pour les mineurs, le seul moyen d’augmenter leurs chances de trouver « de l’or numérique » est d’utiliser de plus en plus de ressources informatiques pour miner. Si, en théorie, n’importe quelle unité de traitement disposant d’une connexion Internet peut être utilisée pour le minage, dans la pratique, les centres professionnels de minage de bitcoins exploitent des appareils hautement spécialisés et gourmands en énergie.
Ces machines alimentent l’économie du bitcoin, qui totalise environ 120 millions de transactions par an, et ce n’est que le début. Cela ne représente qu’une infime partie des plus de 500 milliards de transactions effectuées par le système financier mondial, souligne de Vries. Néanmoins, il estime que le bitcoin utilise environ un pour cent de l’énergie mondiale pour extraire la monnaie, un chiffre impressionnant qui ne fera qu’augmenter à mesure que le prix du bitcoin sera alimenté par un intérêt accru.
L’analyse de de Vries a permis d’établir un lien entre le prix du bitcoin et sa consommation d’énergie en analysant le montant que les mineurs paient pour leur électricité, estimé à environ 60% du coût total de leurs opérations.
Ce qui est particulièrement inquiétant pour de Vries, c’est la nature « verrouillée » d’une grande partie de la consommation d’énergie. Son analyse indique que de nombreux fournisseurs de dispositifs de minage de bitcoins ont épuisé leurs stocks, avec des commandes en attente depuis plusieurs mois. Même si le prix du bitcoin s’effondre, comme ce fut le cas fin 2017, les mineurs seront obligés d’utiliser leurs machines, car leur achat constitue un coût irrécupérable non remboursable qu’ils devront récupérer par le biais du minage, même à des prix plus bas, suggère de Vries. Cela garantit une demande énergétique énorme, même pour un bitcoin dévalué.
Déchets et pénurie de composants électroniques
L’analyse de de Vries va au-delà de l’impact environnemental direct du bitcoin, qui reste un sujet très controversé. Elle souligne également que les impacts secondaires proviendront de la courte durée de vie des dispositifs de minage actuels. « Il en résulte un gros tas de déchets électroniques provenant d’équipements spécialisés qui ne peuvent pas être réutilisés », écrit-il.
Ces appareils contribuent également à la pénurie mondiale de puces informatiques, écrit de Vries. « Ces mineurs de bitcoins veulent les mêmes puces que celles dont nous avons besoin pour nos téléphones ou pour les véhicules électriques à conduite autonome ». Le goulot d’étranglement est ici si important que pour produire seulement un million d’unités du dispositif de minage le plus puissant, l’Antminer S19 Pro de Bitmain, il faudrait environ la moitié de la production mondiale de puces de 7 nm pendant un mois entier.
Menace sur la sécurité internationale
La nature anonyme et décentralisée du bitcoin permettrait à des pays comme l’Iran (où 8% de la production mondiale de bitcoin est actuellement basée) d’éviter les sanctions économiques en détournant le pétrole destiné à l’exportation pour alimenter le minage du bitcoin, toujours selon de Vries. Ces sanctions ayant été mises en place à l’origine pour empêcher la prolifération des armes nucléaires, il souligne que les retombées du bitcoin englobent désormais les problèmes de sécurité internationale.
Les mineurs pourraient-ils passer à des sources d’énergie renouvelables ? de Vries admet qu’il s’agit d’une voie possible, mais souligne que les combustibles fossiles restent la principale source d’énergie de la monnaie. Selon lui, les décideurs politiques pourraient devoir prendre des mesures drastiques pour réguler cette monnaie décentralisée.
Si la trajectoire actuelle du bitcoin se poursuit, sa consommation énergétique stupéfiante va augmenter de façon exponentielle. de Vries reconnaît que le bitcoin a déjà dépassé l’estimation la plus élevée calculée dans son article, qui a été rédigé en janvier 2021. Au prix actuel du bitcoin, il estime que les opérations minières pourraient consommer jusqu’à 241 TWh d’énergie, soit plus que la consommation annuelle totale d’énergie de l’Australie.