Théorisés dès 1930 par Wolfgang Pauli et confirmés expérimentalement en 1956 par les physiciens américains Frederick Reines et Clyde Cowan, les neutrinos sont des particules élémentaires uniquement sensibles à la gravité et à l’interaction faible. Ces propriétés les rendent extrêmement difficiles à détecter, c’est pourquoi de nombreuses zones d’ombre demeurent encore à leur sujet. Cependant, pour la première fois, une équipe de physiciens a réussi à identifier la source d’un neutrino à haute énergie, une découverte capitale pour compléter les modèles théoriques actuels.
Le 22 septembre 2017, le détecteur de neutrinos IceCube situé au Pôle Sud détecte un neutrino à haute énergie. L’alerte est relayée en temps réel auprès de plusieurs observatoires et leur transmet également les coordonnées de détection, seulement 43 secondes après l’événement. Une vingtaine d’observatoires, dont le télescope spatial gamma Fermi de la NASA, se tournent alors vers le ciel pour tenter d’identifier la source de l’émission.
Les scientifiques finissent par identifier un blazar, appelé TXS 0506+056, situé à 4 milliards d’années-lumière de la Terre. Les blazars sont des quasars extrêmement compacts constitués d’un noyau actif et d’un trou noir supermassif central. Ils sont caractérisés par des jets polaires relativistes responsables d’une variation importante de leur luminosité sur des périodes très brèves. En plus d’un puissant rayonnement gamma, le blazar a également émis des neutrinos ultra-énergétiques dans notre direction que les instruments d’IceCube ont pu détecter. La découverte a été publiée dans deux études parues dans le journal Science.
« Ces résultats sont une remarquable chaîne d’événements. Combinés ensemble, ces résultats offrent une incroyable image de la toute première source de neutrinos cosmique confirmée » explique Darren Grant, physicien à l’université d’Alberta et porte-parole d’IceCube. En examinant les données du détecteur, les chercheurs ont identifié une douzaine d’événements associés au blazar entre fin 2014 et début 2015. Ces données leur ont permis de confirmer que l’unique neutrino ultra-énergétique détecté en 2017 provenait bien de TXS 0506+056.
Cette découverte est doublement importante. Premièrement, c’est la toute première fois qu’une source de neutrinos à haute énergie est identifiée. Secondairement, il s’agit de la distance de détection la plus longue jamais enregistrée. Depuis le début du 20ème siècle, les physiciens s’interrogent sur l’origine des rayons cosmiques. Puisque ces derniers contiennent des particules chargées, ils sont ordinairement déviés par le champ magnétique terrestre, rendant l’identification de leur origine extrêmement complexe. Cependant, les très faible interaction des neutrinos avec la matière environnante a permis à ce neutrino de haute d’énergie de parcourir la distance depuis le blazar jusqu’aux détecteurs d’IceCube.
Des sources de rayons cosmiques à basse énergie ont déjà été identifiée par le passé : le Soleil et une supernova appelée SN 1987A située dans le Grand Nuage de Magellan, à 51.4 kpc de la Terre. Identifier l’origine des rayons cosmiques à haute énergie devrait permettre aux physiciens de mieux comprendre la manière dont ces sources fonctionnent. « Nous commençons tout juste à comprendre quels mécanismes et sources peuvent accélérer ces petites particules à de tels niveaux d’énergie. La découverte d’une source de neutrinos à haute énergie pourrait nous en apprendre plus sur l’origine des rayons cosmiques qui les produisent lors d’interactions entre particules » explique Azadeh Keivani, cosmologiste à l’université de Penn.
Tout comme les ondes gravitationnelles constituent aujourd’hui de fabuleux outils d’étude du cosmos, les neutrinos à haute énergie constituent des outils similaires. Cette nouvelle ère de l’astronomie multimessages va permettre aux scientifiques de mieux comprendre la formation et l’évolution des galaxies distantes, ainsi que les processus à l’oeuvre au sein d’objet comme les blazars. « Les blazars dominent l’univers à haute énergie, c’est pourquoi ils ont été proposés comme source potentielle de neutrinos. Nous devons comprendre comment TXS 0506+056 produit des neutrinos afin d’identifier d’autres sources parmi les milliers de blazars connus pour émettre des rayons gamma » explique Marcos Santander, physicien à l’université d’Alabama.
Dans le but d’augmenter la sensibilité de détection, les scientifiques travaillent d’ores et déjà à l’amélioration d’IceCube pour en faire un IceCube-Gen2, avec un volume de détection 10 fois plus important. Couplé à de nouveaux observatoires à rayons gamma, comme le Cherenkov Telescope Array, les chercheurs espèrent pouvoir identifier bien plus de sources de neutrinos à haute énergie.