Des niveaux élevés d’exposition prénatale à l’alcool peuvent entraîner un « trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale », qui englobe divers troubles physiques et/ou neurodéveloppementaux chez l’enfant à naître, y compris un développement facial anormal. Les effets d’une consommation d’alcool faible à modérée sont moins connus. Une nouvelle étude, menée par le Centre médical Erasmus de Rotterdam, éclaircit le lien entre les altérations de la forme du visage des enfants et la quantité d’alcool consommée par leur mère.
Le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) est défini comme la combinaison d’un retard de croissance, d’une déficience neurologique et d’un développement facial anormal reconnaissable. Les symptômes comprennent des troubles cognitifs, des troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH), des difficultés d’apprentissage, des problèmes de mémoire, des troubles du comportement et des retards de parole et de langage. Il est avéré que le TSAF est causé par la consommation d’alcool de la mère pendant la grossesse, en particulier une consommation excessive.
Les experts disposent en revanche de moins de données sur l’effet d’une faible consommation d’alcool — y compris plusieurs mois avant la grossesse — sur le développement facial des enfants. À l’aide de l’intelligence artificielle et de la technologie d’apprentissage en profondeur, des chercheurs néerlandais ont désormais comblé cette lacune : même en petite quantité (moins de 12 g d’alcool par semaine) et jusqu’à trois mois avant le début de la grossesse, il existe une association entre la consommation d’alcool et la forme du visage de l’enfant.
Une association visible, même à faible exposition à l’alcool
Cette étude a impliqué des enfants de l’étude néerlandaise « Génération R » — une étude de cohorte en cours, basée sur la population de femmes enceintes et de leurs enfants à partir de la vie fœtale, visant à identifier les causes environnementales et génétiques précoces qui influent sur la croissance, le développement et la santé de l’enfant. Les enfants de cette analyse sont nés entre janvier 2006 et avril 2009 ; ils sont issus de 17 ethnies différentes.
Les informations sur la consommation d’alcool des mères ont été autodéclarées, via des questionnaires renseignés en début, milieu et fin de grossesse. Le niveau de consommation s’étendait de moins d’un verre par semaine à plus de trois verres par jour — sachant qu’un verre contient en moyenne environ 12 g d’alcool.
Les chercheurs ont ensuite réparti ces femmes en trois groupes : celles qui n’avaient pas bu du tout avant ou pendant la grossesse (le groupe témoin), celles qui avaient bu pendant les trois mois précédant la grossesse, mais qui ont arrêté lorsqu’elles sont tombées enceintes, et celles qui ont bu pendant leur grossesse (y compris celles qui n’ont consommé de l’alcool que pendant le premier trimestre).
L’équipe a utilisé des images 3D du visage de 3149 enfants âgés de neuf ans et de 2477 enfants de 13 ans, qu’ils ont finement analysées à l’aide d’un algorithme d’intelligence artificielle. « Nous avons trouvé une association statistiquement significative entre l’exposition prénatale à l’alcool et la forme du visage chez les enfants de neuf ans. Plus les mères buvaient d’alcool, plus les changements étaient statistiquement significatifs », rapportent les chercheurs.
Une association entre de faibles niveaux d’exposition à l’alcool et la forme du visage de l’enfant avait déjà été rapportée par une étude publiée en 2017. C’est cependant la première fois que le lien est établi pour une dose d’exposition aussi faible : même si les mères boivent moins de 12 g d’alcool par semaine — soit l’équivalent d’un petit verre de vin de 17,5 cl ou de 33 cl de bière, des traits faciaux typiques peuvent être observés.
Des traits caractéristiques qui tendent à s’atténuer avec l’âge
En comparant les données des mères qui buvaient avant leur grossesse, mais qui ont arrêté de boire dès qu’elles étaient enceintes et celles des mères qui ont continué de boire pendant toute leur grossesse, les chercheurs ont détecté des traits faciaux statistiquement significatifs. En examinant ensuite les données des femmes qui ont bu pendant le premier trimestre, mais qui ont ensuite arrêté, et celles des femmes qui ont continué à boire, les résultats étaient similaires : cela suggère que les associations s’expliquent principalement par l’exposition du fœtus à l’alcool au cours du premier trimestre de grossesse.
Les traits caractéristiques d’une exposition à l’alcool comprenaient le bout du nez retroussé, le nez raccourci, le menton vers l’avant et les régions liées aux paupières inférieures « enfoncées », explique Xianjing Liu, premier auteur de l’étude. Cette découverte est importante, car cela signifie que la forme du visage des enfants de neuf ans peut servir d’indicateur pour identifier les enfants à risque de développer des problèmes cognitifs. À noter que les caractéristiques faciales classiques du TSAF — telles que la fente palpébrale courte, le philtrum lisse et la lèvre supérieure fine — ont déjà été associées à des anomalies cérébrales et ont été utilisées pour diagnostiquer les enfants à risque de développer des déficits neuro-comportementaux.
En revanche, les chercheurs n’ont observé aucune association significative lorsqu’ils ont examiné les données des enfants âgés de 13 ans. « Il est possible qu’à mesure qu’un enfant vieillit et subit d’autres facteurs environnementaux, ces changements puissent diminuer ou être obscurcis par des schémas de croissance normaux », explique l’équipe. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre comment les changements faciaux se développent, puis s’affaiblissent avec l’âge.
Mais si les signes faciaux tendent à s’atténuer, cela ne signifie pas pour autant que les effets de l’alcool sur la santé de l’enfant disparaissent ! Ainsi, même si cette étude présente certaines limites (notamment le fait qu’elle repose sur des données autodéclarées, donc potentiellement erronées, de consommation d’alcool), les chercheurs insistent sur le fait qu’il est crucial de s’abstenir de consommer de l’alcool tout au long de la grossesse — et même plusieurs mois avant — si l’on souhaite préserver au maximum la santé de son enfant.