C’est un véritable bouleversement qui vient de s’opérer dans notre compréhension du fonctionnement de l’Univers. Après 10 années de mesures et de recherches au Fermilab (États-Unis), la masse du boson W, une fondamentale en physique des particules, responsable notamment de la radioactivité, se révèle bien plus élevée que prévu par le Modèle Standard — cadre théorique de la physique qui décrit la nature à son niveau le plus fondamental. En somme, la pratique ne confirme absolument pas la théorie. Une nouvelle voie s’ouvre dans notre compréhension du domaine subatomique.
Le boson W, prédit dans les années 1960 et découvert en 1983, est une particule élémentaire médiatrice de l’interaction faible – l’une des quatre forces qui régissent le comportement de la matière dans notre univers. Elle transforme les protons en neutrons et inversement. On peut considérer le boson W, dans le cadre du modèle électrofaible unifiant force nucléaire faible et force électromagnétique, comme un cousin du photon. Il est à la base de la radioactivité et, au-delà, des réactions de fusion nucléaire, comme celles qui animent le Soleil et toutes les étoiles. Sa masse est contrainte par d’autres paramètres observables, tels que la charge des électrons et les masses des autres particules, comme celle du boson de Higgs.
Toutes ces particules et les forces se trouvent liées dans une sorte d’équilibre illustré par le Modèle Standard. Connaitre la masse du boson W avec précision est donc crucial pour mettre à l’épreuve la solidité des prédictions admises jusqu’ici. Or, ce dernier étant massif et instable, il est difficile de le créer dans des collisions de laboratoire et de l’observer directement, car il se désintègre très rapidement.
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De son côté, le Modèle Standard a été achevé en 2012, lorsque le plus grand accélérateur de particules du monde, le Large Hadron Collider (LHC) du laboratoire européen de physique des particules CERN, a découvert sa dernière pièce manquante, le boson de Higgs, dont l’existence est prédite depuis longtemps. La théorie tient compte de chaque interaction de particules vue jusqu’à présent, mais elle souffre de lacunes évidentes. Le modèle comprend trois forces — électromagnétique, forte et faible — mais omet la gravité. Il ne contient pas non plus de matière noire, la substance invisible qui constitue 85% de la matière de l’univers.
Dans ce contexte, et pour déterminer avec plus de précision la masse du boson W, Ashutosh Kotwal, un physicien de l’Université Duke, avec près de 400 scientifiques, ont analysé, sur 10 ans, quatre millions de bosons W candidats sur un « ensemble de données d’environ 450 000 milliards de collisions ». Leur découverte est publiée dans la revue Science.
Surpoids pour une particule élémentaire
Depuis sa découverte en 1983, des expériences ont calculé que le boson W pesait jusqu’à 85 protons. Mais sa masse exacte a été difficile à quantifier : la première estimation expérimentale avait des marges d’erreur de 5% ou plus. Ces mesures sont toutes largement concordantes, une confirmation seulement apparente de la validité du Modèle Standard. La masse généralement acceptée pour le boson W est de 80,379 GeV/c², et bien que l’écart puisse sembler faible, la nouvelle valeur est la plus précise à ce jour, ce qui équivaut à mesurer le poids corporel à moins de 10 grammes.
Concrètement, les données proviennent du Collider Detector du Fermi National Accelerator Laboratory (CDF), un détecteur de particules alimenté par le collisionneur Tevatron, qui a fonctionné au Fermilab de 1984 à 2011. Comme le LHC du CERN, en Europe (qui a permis d’identifier le boson de Higgs), il permet la collision de particules à des vitesses phénoménales, qui révèlent, en se brisant, les éléments qui les composent.
Ces collisionneurs produisent donc des bosons W en écrasant des particules à haute énergie. Les expériences les détectent généralement par leur désintégration en muon ou électron, plus un neutrino. Le neutrino s’échappe du détecteur sans laisser de trace, tandis que l’électron ou le muon laissent des traces bien visibles. Lors de la désintégration, la majeure partie de la masse d’origine du boson W se transforme en énergie des nouvelles particules. Si les physiciens pouvaient mesurer cette énergie, et la trajectoire de toutes les particules de désintégration, ils pourraient immédiatement calculer la masse du boson W qui les a produites. Mais sans pouvoir suivre le neutrino, ils ne peuvent pas dire avec certitude quelle partie de l’énergie de l’électron ou du muon provient de la masse du boson W, et laquelle provient de sa quantité de mouvement.
Après une décennie de travail, Ashutosh Kotwal et ses 397 collaborateurs du CDF ont découvert que le boson W a une masse de 80 443,5 mégaélectronvolts, soit 86 fois celle d’un proton. La mesure diffère de la masse prédite de sept fois l’incertitude expérimentale. Ashutosh Kotwal souligne, dans un communiqué : « Nous pensons qu’il y a un indice fort dans cette mesure particulière sur ce que la nature pourrait nous réserver ».
Bien que la différence entre la prédiction théorique et la valeur expérimentale ne soit que de 0,09%, elle est nettement supérieure aux marges d’erreur du résultat, qui sont inférieures à 0,01%. La découverte est également en désaccord avec certaines autres mesures de la masse. Il revient à une autre équipe de confirmer ce résultat, qui pourrait provenir de trois expériences au LHC, via le détecteur Compact Muon Solenoid (CMS). Harry Cliff, de l’Université de Cambridge, déclare : « C’est le seul collisionneur avec une énergie suffisamment élevée pour créer des bosons W ».
Amélioration des analyses, clé de la découverte
Cette découverte est plutôt le résultat d’une amélioration constante des techniques d’analyse des données, ainsi que d’une meilleure compréhension, par les chercheurs, de la physique des particules, du comportement des protons et des antiprotons dans les collisions. Le Pr Kotwal, co-auteur de l’étude, explique : « Beaucoup de techniques pour atteindre ce genre de précisions que nous n’avions même pas apprises en 2012 ».
C’est ainsi que l’équipe a calculé l’énergie de chaque électron de désintégration, en mesurant la façon dont la trajectoire se déformait dans un champ magnétique. Une avancée laborieuse, au cours de la dernière décennie, a été d’améliorer la résolution des trajectoires d’environ 150 microns à moins de 30 microns, explique Kotwal. Après avoir cartographié la distribution des énergies des électrons, l’équipe a calculé la masse du boson W qui correspondait le mieux aux données : 80 433 mégaélectronvolts (MeV), avec une marge d’erreur de seulement 9,4 MeV.
Néanmoins, les physiciens du LHC ont précédemment mis en évidence les failles du programme utilisé par CDF, appelé Resbos, alors qu’une itération améliorée existe. Mais Kotwal souligne que les chercheurs du CDF ont choisi la technique originale longtemps à l’avance et qu’il aurait été erroné de changer de technique pour faire converger le résultat avec la théorie. La découverte reste donc à confirmer par d’autres données.
Un nouveau candidat à la longue liste d’anomalies
Si le résultat est confirmé, il pourrait rejoindre d’autres anomalies inexpliquées. L’année dernière, les physiciens ont détecté d’une part des divergences dans les propriétés magnétiques de la particule élémentaire appelée muon, et d’autre part, des réactions différentes à celles attendues du quark bottom, autre particule élémentaire.
Parmi les possibilités envisagées à l’heure actuelle par les experts pour expliquer ces anomalies : la supersymétrie (qui prédit une particule partenaire pour chacune des particules du Modèle Standard), l’influence de particules inconnues de type boson de Higgs ou encore celle de particules du « secteur sombre » — soit la famille de particules qui constitueraient entre autres la matière noire.
Florencia Canelli, physicienne expérimentale des particules à l’Université de Zürich, en Suisse, déclare : « [La mesure] est extrêmement excitante et [représente] un résultat vraiment monumental dans notre domaine ». Par conséquent, si elle est confirmée par d’autres expériences, il pourrait s’agir de la première brèche majeure dans le Modèle Standard de la physique des particules. C’est ainsi que le Pr Kotwal conclut : « Cette découverte pourrait trahir l’existence de nouvelles interactions ou de nouvelles particules, que les expériences d’aujourd’hui ne savent pas encore révéler. Nous suivons le chemin, sans négliger aucune piste. Nous finirons donc par comprendre ».
Nous devons donc nous armer de patience pour avoir la confirmation ou du moins espérer comprendre une petite partie du fonctionnement de notre univers.