L’une des stratégies envisagées pour lutter contre le changement climatique consiste à réduire la quantité d’énergie solaire reçue par la surface de la Terre. Pour cela, les scientifiques ont imaginé différents dispositifs, tels que des écrans spatiaux géants. Mais ce type d’approche s’accompagne d’importants défis techniques. Récemment, des chercheurs montrent que l’utilisation d’un nuage de poussières (provenant de la Lune ou d’un astéroïde) en guise de bouclier solaire constitue une approche plus simple et efficace.
L’humanité émet trop de gaz à effet de serre. Ces gaz absorbent une grande partie du rayonnement thermique émis par la surface terrestre et le ré-émettent dans toutes les directions, y compris vers la surface. Ce rayonnement vient ainsi s’ajouter au rayonnement solaire, ce qui augmente la température et contribue au réchauffement climatique. Par conséquent, l’une des stratégies envisagées pour limiter le réchauffement consiste à réduire la quantité d’énergie solaire reçue, en interceptant la lumière du Soleil avant qu’elle n’atteigne la Terre. Bloquer entre 1 et 2% suffirait à atténuer les effets du réchauffement climatique.
Ainsi, depuis des décennies, les scientifiques imaginent des moyens de bloquer ce rayonnement, via de gros écrans spatiaux ou un essaim de petits satellites par exemple. Le point de Lagrange L1 du système Terre-Soleil apparaît comme un emplacement idéal pour ombrager efficacement notre planète. Mais l’approche présente plusieurs difficultés, telles que le fait de maintenir le dispositif en orbite face à la pression du rayonnement solaire et d’envoyer le matériel requis, plus de 109 kg (!), au point L1 — ce qui est environ cent fois supérieur à tout ce que les humains ont envoyé dans l’espace à ce jour. Il existe toutefois une alternative qui permettrait de lever ces difficultés : l’utilisation de grains de poussière micrométriques en guise d’écran.
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Une stratégie inspirée de la formation des planètes
Une équipe de l’Université de l’Utah a récemment ré-examiné le potentiel de l’utilisation de poussière pour bloquer une partie de la lumière solaire. Ils soulignent que contrairement aux autres stratégies de géoingénierie basées sur Terre, l’atténuation du changement climatique avec cette approche n’a pas d’impact à long terme sur notre planète ou son atmosphère.
Leurs travaux ont été inspirés par une technique qu’ils utilisent pour étudier le processus de formation des planètes — l’un de leurs sujets de recherche habituels. Ce processus implique en effet de grandes quantités de poussière, tournant autour d’une étoile hôte. Ces anneaux de poussière interceptent la lumière de l’étoile et la ré-émettent, y compris vers la Terre : c’est ainsi que les astronomes repèrent les étoiles qui forment de nouvelles planètes.
« C’est là que l’idée a germé ; si nous prenions une petite quantité de matière, que nous la placions sur une orbite spéciale entre la Terre et le Soleil et que nous la brisions, nous pourrions bloquer une grande partie de la lumière solaire avec une petite quantité de masse », a déclaré Ben Bromley, professeur de physique et d’astronomie et auteur principal de l’étude.
L’efficacité globale d’un bouclier dépend bien évidemment de sa capacité à maintenir une orbite qui projette une ombre sur la Terre. L’équipe a donc tout d’abord évalué l’atténuation induite par différents types de poussières, puis déterminé les orbites susceptibles de maintenir la poussière en position suffisamment longtemps pour fournir une ombre adéquate.
« Nos calculs incluent les variations des propriétés des grains et des solutions orbitales en fonction des perturbations lunaires et planétaires », précisent les chercheurs dans PLOS Climate. Dans ce travail, ils visaient une réduction de l’irradiance solaire de 1,8%, ce qui correspond à 6 jours d’atténuation par an.
Un bouclier efficace et non permanent
L’équipe estime qu’environ 1010 kg de poussière par an sont nécessaires pour obtenir un résultat significatif sur le climat, en fonction des propriétés de la poussière et de la façon dont le nuage est déployé. Les simulations informatiques ont montré en effet que la poussière était facilement déviée de sa trajectoire par les vents solaires, les radiations et la gravité au sein du Système solaire. Il faudra ainsi prévoir une réserve inépuisable de poussière, de façon à pouvoir en envoyer régulièrement après chaque dissipation du nuage. « Les sources de poussière comprennent la Terre, la Lune ou éventuellement un astéroïde dévié », notent les chercheurs.
Il ressort de leur étude que l’une des approches les plus prometteuses consiste à utiliser des grains duveteux à forte porosité pour augmenter l’efficacité de l’extinction par unité de masse, et à lancer ce matériau en jets dirigés depuis une plateforme située en orbite autour de L1 — où les forces gravitationnelles sont équilibrées. Rappelons que par définition, un objet de masse négligeable situé sur un point de Lagrange reste immobile relativement aux deux corps en mouvement orbital et tourne avec eux. Ceci entraînerait toutefois des coûts et des efforts astronomiques.
Une approche plus simple et plus économique consiste à éjecter par voie balistique des grains de poussière de la surface de la Lune vers le point L1. Les auteurs affirment que le fait de lancer de la poussière lunaire depuis la Lune pourrait constituer un moyen bon marché d’ombrager la Terre pendant plusieurs jours. « Les avantages par rapport à un lancement terrestre comprennent un réservoir de poussière prêt à l’emploi sur la surface lunaire et une énergie cinétique moindre nécessaire pour atteindre une orbite de protection solaire », expliquent-ils.
À noter que cette étude ne fait qu’explorer l’impact potentiel de cette stratégie et n’a pas déterminé si ces scénarios étaient réalisables ou non d’un point de vue logistique.
Le renouvellement régulier des poussières peut apparaître comme un aspect contraignant de cette stratégie, mais comme précisé plus haut, le caractère temporaire du nuage de poussière est aussi un avantage : chaque nuage ne persiste que quelques jours avant que la poussière ne soit dispersée dans tout le Système solaire, il n’y a donc aucun risque que la Terre ne devienne froide et inhospitalière.