Alors que selon la relativité d’Einstein, la gravité s’applique de manière constante à la fois à l’espace et au temps, une nouvelle étude révèle qu’elle semble devenir environ 1 % plus faible lorsqu’elle agit sur des distances de plusieurs milliards d’années-lumière. Cette incohérence tiendrait d’un « bug cosmique », qui expliquerait l’étrange comportement de la gravité, et par extension de l’Univers, à cette échelle.
Au cours des 109 années qui ont suivi sa formulation, la théorie de la relativité générale d’Einstein est progressivement devenue la pierre angulaire de la physique moderne, notamment pour expliquer le comportement de la gravité dans l’Univers. Elle suggère entre autres que la gravité influence non seulement les trois dimensions physiques, mais aussi la quatrième dimension : le temps.
De nombreuses expériences et observations ont confirmé ses prédictions, telles que la première image d’un trou noir (ou plutôt de son horizon des événements), capturée par le télescope spatial Event Horizon en 2019. La théorie a également été utilisée pour étayer et compléter d’autres prédictions telles que le Big Bang et l’accélération de l’expansion de l’Univers. « Ce modèle de gravité a été essentiel pour tout, depuis la théorie du Big Bang jusqu’à la photographie des trous noirs », explique Robin Wen dans un communiqué de l’Université de Waterloo, au Canada.
Cependant, malgré les nombreuses confirmations, la relativité comporte tout de même des incohérences que les physiciens tentent de résoudre depuis des décennies. L’une des plus grandes incohérences est son incompatibilité avec la mécanique quantique, qui décrit le comportement physique de la matière au niveau subatomique.
D’un autre côté, Wen et ses collègues suggèrent qu’elle ne peut pas non plus entièrement expliquer le comportement de la gravité à l’échelle cosmique. « Lorsque nous essayons de comprendre la gravité à l’échelle cosmique, à l’échelle des amas de galaxies et au-delà, nous rencontrons des incohérences apparentes avec les prédictions de la relativité générale. C’est presque comme si la gravité elle-même ne correspondait plus parfaitement à la théorie d’Einstein », explique le physicien. Dans leur nouvelle étude, récemment publiée dans le Journal of Cosmology and Astroparticle Physics, les chercheurs ont baptisé cette incohérence le « bug cosmique ».
En outre, en tenant compte de l’accélération de l’expansion de l’Univers, les galaxies se déplacent plus rapidement à mesure qu’elles sont éloignées les unes des autres. Certaines semblent même atteindre la vitesse de la lumière, soit la vitesse maximale prédite par la relativité. Or, « nos résultats suggèrent que, à ces mêmes échelles, la théorie d’Einstein pourrait également s’avérer insuffisante », explique le coauteur de l’étude Niayesh Afshordi, également de l’Université de Waterloo et du Perimeter Institute au Canada.
La théorie de la relativité ajustée
Depuis plus de 20 ans, les physiciens tentent de créer un modèle théorique pouvant expliquer les incohérences apparentes de la relativité. Dans le cadre de la nouvelle étude, l’équipe de l’Université de Waterloo vise à l’étendre aux plus grandes échelles de l’Univers en ajustant la constante gravitationnelle. Cet ajustement devrait se produire à mesure que les calculs et les observations se rapprochent du « superhorizon », ou de la distance maximale que la lumière a parcourue depuis le Big Bang.
Pour ce faire, les chercheurs ont ajouté une extension au modèle cosmologique standard (modèle ΛCDM) visant à éliminer les incohérences sans affecter la théorie initiale. En d’autres termes, le nouveau modèle modifie et étend les formules mathématiques d’Einstein de sorte à résoudre les incohérences dans certaines mesures cosmologiques, sans affecter les prédictions réussies.
« Considérez-le comme une note de bas de page de la théorie d’Einstein. Une fois que vous atteignez une échelle cosmique, les termes et conditions s’appliquent », explique Wen. Cela équivaudrait à l’ajout d’une composante d’énergie noire, mais la valeur de la densité de cette énergie peut être soit négative soit positive.
En analysant les données cosmologiques à grande échelle collectées par l’observatoire spatial Planck, les chercheurs ont constaté qu’elles correspondent davantage aux valeurs négatives de la densité de l’énergie noire. Il a également été constaté que la diminution de 1 % de la gravité au superhorizon peut atténuer les tensions de Hubble, ainsi que toute une série d’incohérences dans de nombreuses observations cosmologiques.
Ces résultats suggèrent que le nouveau modèle peut offrir une importante liberté de calcul que la relativité standard ne peut offrir et mérite ainsi une exploration plus approfondie. « Ce nouveau modèle pourrait bien être le premier indice d’un puzzle cosmique que nous commençons à résoudre à travers l’espace et le temps », conclut Afshordi.