Alors que le télescope Event Horizon collectait des données pour sa nouvelle image remarquable du trou noir supermassif de la Voie lactée, Sagittarius A*, une légion d’autres télescopes, dont trois observatoires spatiaux à rayons X de la NASA, l’observaient également (c’était en avril 2017). Mais c’est à l’aide du télescope terrestre Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA) que des astronomes ont repéré des signes d’un « point chaud » en orbite autour du trou noir supermassif. Il s’agirait d’une bulle de gaz très chaud. L’analyse de son comportement devrait aider à mieux comprendre l’environnement dynamique de l’objet.
Lorsque le télescope Event Horizon (EHT) a observé Sagittarius A*, en avril 2017, pour obtenir la nouvelle image révélée récemment, les scientifiques de la collaboration ont également scruté le trou noir avec 8 installations qui détectent différentes longueurs d’onde de lumière.
Ainsi, ils ont rassemblé des données : de rayons X provenant de : l’observatoire à rayons X Chandra de la NASA, du réseau de télescopes nucléaires spectroscopiques (NuSTAR) et de l’observatoire Neil Gehrels Swift ; radio du réseau d’interféromètres à très longue base (VLBI) d’Asie de l’Est et du réseau VLBI mondial de 3 millimètres ; infrarouges du télescope Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA) de l’Observatoire européen austral au Chili.
Pour calibrer les données EHT, Wielgus et ses collègues, membres de la collaboration EHT, ont utilisé des données ALMA de Sagittarius A* enregistrées simultanément avec les observations EHT. À la surprise de l’équipe, il y avait bien plus d’indices sur la nature du trou noir dans les mesures d’ALMA uniquement. Leur découverte fait l’objet d’une publication dans la revue Astronomy & Astrophysics.
Regarder au bon moment
Alors que certains trous noirs supermassifs peuvent être extrêmement actifs — « dévorant » de grandes quantités de gaz et de poussières et brillant intensément dans les rayons X —, Sagittarius A* est plutôt calme en comparaison.
C’est donc par hasard que le télescope ALMA, lors de cette campagne d’observations pour l’EHT, a surpris une rafale ou une éruption d’énergie de rayons X émise depuis le centre de la galaxie, entre le 6 et le 12 avril 2017. Les scientifiques estiment que ce type d’éruption, précédemment observée avec des télescopes à rayons X et infrarouges, est associé à ce que l’on appelle des « points chauds », des bulles de gaz chauds qui orbitent très rapidement, à proximité d’un trou noir.
Wielgus, affilié au Centre astronomique Nicolaus Copernicus, en Pologne, et à la Black Hole Initiative de l’Université de Harvard, aux États-Unis, déclare dans un communiqué : « Ce qui est vraiment nouveau et intéressant, c’est que de telles éruptions n’étaient jusqu’à présent clairement présentes que dans les observations aux rayons X et infrarouges de Sagittarius A*. Ici, nous voyons pour la première fois une très forte indication que des points chauds en orbite sont également présents dans les observations radio ».
Jesse Vos, doctorant à l’Université Radboud (Pays-Bas) qui a également participé à cette étude, suppose pour expliquer cette observation radio que le comportement de ces points chauds pourrait être similaire à une manifestation d’un phénomène physique connu : « Lorsque les points chauds émettant des infrarouges se refroidissent, ils deviennent visibles à des longueurs d’onde plus longues, comme celles observées par ALMA et l’EHT ».
Une bulle de gaz spatiale pour expliquer les mystères des trous noirs
Rappelons que les trous noirs sont des objets au sein desquels la gravité est si forte que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper. L’horizon des événements, ou « surface » du trou noir, marque cette limite de non-retour, tandis que le disque d’accrétion est formé par la matière en orbite autour.
Les astronomes ont longtemps pensé que les éruptions provenaient d’interactions magnétiques au sein de la matière de ce disque d’accrétion, notamment du gaz très chaud avec le champ magnétique entourant le trou noir. Les nouvelles découvertes soutiennent cette idée. La co-auteure Monika Mościbrodzka, de l’Université Radboud, souligne : « Maintenant, nous trouvons des preuves solides d’une origine magnétique de ces éruptions et nos observations nous donnent un indice sur la géométrie du processus. Les nouvelles données sont extrêmement utiles pour construire une interprétation théorique de ces événements ».
ALMA permet aux astronomes d’étudier les émissions radio polarisées de Sagittarius A*, qui peuvent être utilisées pour dévoiler le champ magnétique du trou noir. L’équipe a utilisé ces observations avec des modèles théoriques pour en savoir plus sur la formation du point chaud et l’environnement dans lequel il est intégré, y compris le champ magnétique autour du trou noir. Cette étude fournit des contraintes bien plus fortes sur la forme de ce champ magnétique que les observations précédentes, aidant les astronomes à comprendre la nature du trou noir central de la Voie lactée et de ses environs.
Maciek Wielgus, de l’Institut Max Planck de radioastronomie à Bonn, en Allemagne, qui a dirigé l’étude, explique : « Nous pensons avoir affaire à une bulle de gaz chaud tournant autour de Sagittarius A* sur une orbite de taille similaire à celle de la planète Mercure, mais effectuant une boucle complète en à peine 70 minutes environ. Cela nécessite une vitesse époustouflante d’environ 30% de la vitesse de la lumière ! ».
En effet, les observations confirment certaines des découvertes précédentes faites grâce à l’instrument GRAVITY du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, qui observe dans l’infrarouge. Les données de GRAVITY et d’ALMA suggèrent toutes deux que l’éruption provient de cet amas de gaz tourbillonnant autour du trou noir dans le sens des aiguilles d’une montre dans le ciel, l’orbite du point chaud étant presque de face.
Ivan Marti-Vidal, de l’Université de València en Espagne, co-auteur de l’étude, ajoute : « À l’avenir, nous devrions être en mesure de suivre les points chauds à travers les fréquences en utilisant des observations coordonnées à plusieurs longueurs d’onde avec GRAVITY et ALMA — le succès d’une telle entreprise serait une véritable étape pour notre compréhension de la physique des éruptions dans le centre galactique ».
L’équipe prévoit maintenant de tenter d’observer directement les amas de gaz en orbite avec l’EHT, afin de sonder au plus près le trou noir supermassif et en déterminer les caractéristiques dynamiques, permettant de prédire son évolution. Wielgus conclut : « J’espère qu’un jour, nous pourrons dire que nous ‘savons’ ce qui se passe dans Sagittarius A* ».