Récemment, des cachalots ont été vus en train de projeter une énorme bulle d’excréments pour se défendre d’un groupe composé d’une trentaine d’orques, dans le canyon de Bremer au large des côtes d’Australie occidentale. Cette stratégie défensive à la fois intrigante et insolite a permis d’éloigner les agresseurs qui, normalement, n’osent s’en prendre que très rarement aux cachalots. Le phénomène témoigne de l’étonnante complexité des comportements prédateurs et défensifs des deux espèces.
Situé à 50 kilomètres au large des côtes d’Australie occidentale, entre la ville d’Albany et de Hopetoun, le canyon sous-marin de Bremer est un « hot spot » mondial de la biodiversité marine. Il s’agit notamment de l’un des sites d’observation de cétacés les plus recherchés au monde, avec plus de 100 orques qui y séjournent tous les ans entre décembre et avril. Mis à part les orques, on y trouve aussi des grands dauphins, des cachalots, des baleines bleues, des requins-baleines et même les très rares baleines à bec.
Lors du passage des orques dans la région, touristes et chercheurs peuvent les observer se livrer à différentes activités, allant de la chasse à la socialisation en passant par l’initiation des jeunes à divers comportements. Alors que ces prédateurs s’en prennent rarement à plus grand qu’eux, une bande d’au moins 30 individus a été aperçue en train d’attaquer un groupe de cachalots, le 19 mars dernier.
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Mesurant jusqu’à 20 mètres de long et pesant jusqu’à 40 tonnes (pour les mâles), les cachalots sont les plus grands carnassiers vivants sur Terre. En comparaison, les plus grandes orques femelles ne mesurent que 8 mètres de long (soit à peine moins que les mâles) et ne pèsent pas plus de 4 tonnes. « Les cachalots sont considérés comme des prédateurs majeurs et, historiquement, on pensait qu’ils étaient quasiment immunisés contre les attaques d’épaulards », a expliqué à ABC News Australia, Jennah Tucker, biologiste marine chez Oceans Blueprint. « C’est en fait assez aventureux pour les orques d’essayer de s’attaquer aux cachalots. Ils visent au-dessus de leur propre poids », a-t-elle ajouté. L’experte se trouvait à bord du bateau d’expédition touristique lorsque l’événement s’est produit.
« Une défécation défensive »
Lorsque les chercheurs ont observé les cachalots se faire pourchasser par le groupe d’orques, ils semblaient vraiment épuisés et en détresse. Ils sortaient frénétiquement la tête hors de l’eau pour exhaler de grandes respirations haletantes. Pour se défendre, ils se sont d’abord regroupés pour former un cercle, avec la tête orientée vers l’intérieur. « C’est ce qu’on appelle une rosette, un autre mécanisme défensif qu’ils utilisent lorsqu’ils sont attaqués », explique Tucker.
Quelques minutes plus tard, une grande tache sombre ressemblant à un panache de sang a commencé à émerger de l’eau. Pensant initialement que les orques avaient réussi à blesser l’un des cachalots, l’ambiance était pesante à bord du bateau d’expédition. En effet, l’un des cachalots était nettement plus petit que les autres, ce qui a amené les chercheurs à supposer qu’il avait pu être facilement blessé.
Cependant, les orques se sont soudainement éloignées et ont renoncé à poursuivre leur attaque. En examinant plus attentivement les images de l’événement, les experts ont réalisé que le panache éjecté par les cachalots était composé d’excréments. Après l’avoir rejeté, elles l’ont stratégiquement propagé vers les orques à l’aide de leur queue. Cela a apparemment été suffisant pour dérouter les agresseurs jusqu’à finalement les dissuader de poursuivre l’attaque.
Les orques ont fini par s’éloigner du groupe pour gagner des eaux plus claires. « C’est ce qu’on appelle une défécation défensive », indique l’experte. Les excréments ont initialement été confondus avec du sang, en raison du régime alimentaire des cachalots, qui est essentiellement composé de calamars. Cela donne une couleur rougeâtre à leurs déjections.
Il est extrêmement rare que les orques s’attaquent aux cachalots et seuls quelques cas ont été recensés dans le monde. Cependant, celles du canyon du Bremer semblent particulièrement agressives et audacieuses, la zone ayant enregistré la première attaque de rorqual bleu (par des orques) connue à ce jour. « Nous avons vu les orques de Bremer faire des choses assez folles. Elles n’hésitent pas à trop en faire », indique Tucker. Les observateurs de la zone ont d’ailleurs rapporté un nombre record de prédations d’orques au cours de ce mois : 6 au cours des trois dernières semaines et 9 au total (sur le mois).
D’un autre côté, les orques sont des animaux extrêmement intelligents, pouvant développer des stratégies de prédation complexes. En Argentine, certains groupes ont par exemple appris à s’échouer partiellement sur les plages pour capturer des phoques, tandis que d’autres créent des ondulations aquatiques pour pousser leurs proies hors de la banquise, en Antarctique. Ces techniques peuvent être transmises de génération en génération, par le biais d’une forme d’apprentissage social. Toutefois, bien que leurs comportements soient très peu documentés, les cachalots disposent eux aussi d’une étonnante intelligence leur permettant une grande capacité d’adaptation.
Vidéo montrant la stratégie défensive « à base d’excréments » des cachalots :