Les calmars géants (Architeuthis dux), ces fascinants céphalopodes qui ont nourri mythes et légendes au fil des siècles, figurent parmi les animaux les plus difficiles à observer et étudier sur Terre. Ces géants « insaisissables » peuplent notamment les fonds abyssaux, des zones moins connues de l’homme que la surface de la Lune. Les rares informations que les scientifiques ont pu soutirer viennent en effet pour la plupart de carcasses de calmars échoués sur les plages ou de spécimens se faisant accidentellement prendre dans les filets des pêcheurs. Fait rarissime : l’un d’eux a été retrouvé échoué, mais en vie, jeudi dernier sur la plage d’Ugu à Obama, à l’ouest du Japon. Le géant de 3,35 mètres a ensuite été transporté dans l’aquarium le plus proche à Sakai, afin d’y être étudié de plus près.
Ce spécimen est probablement le premier calmar géant à être capturé vivant. Bien qu’il s’agisse des plus grands invertébrés sur Terre après (peut-être) les calmars colossaux (Mesonychoteuthis hamiltoni), les observations de ces céphalopodes sont très rares, car ceux que l’on a pu retrouver jusqu’ici vivaient jusqu’à plus de 1300 mètres de profondeur. Il se pourrait même qu’on les retrouve encore plus profondément dans les abysses, mais les données sur ces discrets animaux marins sont si rares que les scientifiques ne connaissent pas encore précisément leur répartition géographique.
L’entier de leur anatomie et de leur physiologie rend en effet les calmars géants particulièrement adaptés aux conditions extrêmes des zones mésopélagique (entre 200 et 1000 m de profondeur) et bathypélagique (entre 1000 et 4000 m de profondeur). Étant donné qu’à partir de 200 m seulement, la lumière du soleil n’atteint déjà presque plus la zone, ces gigantesques céphalopodes vivent dans l’obscurité totale et supportent aisément des pressions écrasantes allant jusqu’à 130 bars ainsi que des températures froides (ne dépassant pas les 4 °C).
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Les retrouver aussi loin à la surface est alors non seulement très inhabituel, mais aussi souvent fatal pour ces créatures habituées aux profondeurs. Même si le spécimen capturé au japon a été retrouvé miraculeusement en vie, il y a peu de chances qu’il survive longtemps dans un aquarium trop étroit, trop éclairé et trop en altitude par rapport à son environnement naturel, à moins peut-être d’y créer artificiellement les bonnes conditions, ce qui n’est pas non plus chose facile.
Grandir à l’abri des regards
Le plus grand calmar géant observé par les scientifiques mesurait près de 13 mètres de long pour environ une tonne, d’après les experts du Smithsonian. Bien que l’espèce vive dans des environnements difficilement accessibles (compliquant les observations), des chercheurs du Musée national des sciences du Japon, la chaîne de télévision publique japonaise NHK et Discovery Channel ont eu la chance inouïe de filmer un tel céphalopode dans son milieu naturel, en 2012. Le colosse (de 7 mètres dans ce cas) a apparemment déjà été filmé en 2006, attiré par un appât judicieusement placé sous un navire de recherche, au large des îles d’Ogasawara.
Toutefois, il faut noter que les tailles rapportées tendent souvent à être exagérées, les observations étant si rares, d’autant plus si le spécimen est aperçu vivant. Par ailleurs, lors des collectes de données sur les calmars s’échouant sur les plages ou mourant à la surface de l’eau, les carcasses sont souvent en mauvais état, car déjà consommées par d’autres animaux marins, ou aussi gonflées d’eau (ce qui peut les rendre plus grands et plus larges).
Par ailleurs, pour les mesures et les estimations, les scientifiques se basent sur les mensurations du manteau (la partie supérieure du calmar en forme de cornet), car les tentacules sont souvent détachés des carcasses. Le plus long manteau enregistré ne dépassait pas les 2,25 m, et la plus grande taille totale rapportée (depuis le manteau jusqu’aux tentacules) est de 13 m. Cependant, d’après une nouvelle technique de mesure se basant sur le bec, les scientifiques estiment que l’animal pourrait probablement atteindre les 20 m (plus grand que le calmar colossal).
Les dimensions spectaculaires du calmar géant s’expliquent probablement par l’absence de prédateurs, mis à part le cachalot (Physeter macrocephalus), qu’il peut croiser de temps en temps. De plus, certains céphalopodes, dont probablement les calmars géants, sont connus pour posséder une forme rare d’intelligence. Cette intelligence et cette ruse, combinées aux milliers de ventouses, aux huit bras et aux deux longs tentacules principaux, font de lui un prédateur particulièrement efficace. Ses yeux (les plus grands du règne animal), étrangement imposants par rapport sa tête, lui permettent également de voir naturellement dans l’obscurité totale.
Par ailleurs, l’espèce est plus ou moins protégée de la pêche et d’autres pressions environnementales anthropiques, ce qui pourrait probablement lui laisser le temps de grandir puis se reproduire tranquillement, à l’abri des regards, pour atteindre des tailles impressionnantes.