La plus grande étude à ce jour concernant le mélanome confirme le lien entre le microbiote intestinal et la réponse aux traitements par immunothérapie pour ce type de cancer. Régulation de la fonction digestive, dégradation de substrats présents dans notre alimentation, production de certaines vitamines, fonctionnement du système immunitaire intestinal, etc. Dans quel mécanisme biologique le microbiote intestinal n’est-il pas impliqué ? Dans la nouvelle étude, les chercheurs ont trouvé des réponses différentes à l’immunothérapie selon les types de microbes se trouvant dans les intestins des patients. Elle apporte des données précieuses pour les greffes fécales dans le traitement des cancers.
Le mélanome est le cancer cutané le plus grave mais le moins fréquent. Il se développe à partir des mélanocytes, cellules de l’épiderme qui fabriquent la mélanine, un pigment donnant sa coloration à la peau. Dans environ 20% des cas, la maladie se propage et forme des métastases. Cela peut se produire lorsque des cellules cancéreuses ont franchi la barrière qui sépare l’épiderme du derme. En effet, c’est au niveau du derme, riche en vaisseaux lymphatiques et sanguins, que les cellules de mélanome peuvent migrer vers d’autres organes.
L’arrivée des molécules de thérapies ciblées et d’immunothérapies dans l’arsenal thérapeutique a profondément transformé la prise en charge des formes avancées de mélanome depuis le début des années 2010. Aujourd’hui, ces thérapies remplacent progressivement les médicaments de chimiothérapie, souvent plus toxiques et à l’efficacité moindre. L’immunothérapie consiste à stimuler les cellules du système immunitaire pour leur apprendre à s’attaquer aux tumeurs. Elle a d’ailleurs fait l’objet du prix Nobel de médecine en 2018. Malheureusement, seuls 20 à 40% des patients réagissent à ce traitement. Des études suggèrent, depuis quelques années, un lien entre le microbiote intestinal et le système immunitaire, donc potentiellement avec les traitements en immunothérapie de certains cancers.
À chaque type de microbiote, sa réponse immunitaire
Le microbiote correspond à l’ensemble des micro-organismes peuplant un microbiome (ensemble des génomes des bactéries colonisant l’organisme d’un animal). Plus particulièrement, le microbiote intestinal (le plus important du corps humain) est une colonie d’environ 100 000 milliards de bactéries tapissant les quelque 400 m² de la surface intestinale ; représentant un poids d’environ 1,5 kg chez un adulte. De plus, le microbiote peut être modifié par des changements alimentaires, des probiotiques de nouvelle génération et la transplantation fécale. Comprendre les caractéristiques du microbiote permettrait d’appréhender son action sur le système immunitaire et d’améliorer les réponses aux traitements anticancéreux en fonction des patients.
L’équipe de recherche s’est basée sur des analyses préliminaires pour déterminer s’il existait un lien entre la composition du microbiote intestinal et la réponse à l’immunothérapie. Ces études comportaient un nombre limité de patients et considéraient le microbiote intestinal en tant que régulateur du système immunitaire.
La nouvelle étude est publiée dans Nature Medicine et a été coordonnée par le King’s College de Londres, le département CIBIO de l’Université de Trente, l’Institut européen d’oncologie en Italie et l’Université de Groningue aux Pays-Bas. Elle a rassemblé le plus grand groupe (jusqu’à ce jour) de patients atteints de mélanome cutané avancé, provenant de cinq centres cliniques au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Espagne. Plus précisément, ils proviennent des études PRIMM (Predicting Response to Immunotherapy for Melanona with Gut Microbiome and Metabolomics). Il s’agit de deux études de cohorte observationnelles prospectives distinctes recrutant des sujets, en parallèle au Royaume-Uni (PRIMM-UK) et aux Pays-Bas (PRIMM-NL) depuis 2018.
Au total, 165 échantillons de microbiote, séquencés chez les patients inscrits à cette étude ont été analysés avec 147 échantillons provenant de plus petits ensembles de données accessibles au public. Les échantillons de selles ont été prélevés avant le début des traitements par inhibiteur de point de contrôle immunitaire (ICI). Les chercheurs ont effectué une étude métagénomique, c’est-à-dire qu’ils ont séquencé à grande échelle le microbiote intestinal.
Les chercheurs ont trouvé une association complexe impliquant différentes espèces bactériennes dans différents groupes de patients. En d’autres termes, selon les bactéries présentes, les réponses aux immunothérapies n’étaient pas les mêmes. La présence de trois types de bactéries semble être associée à une meilleure réponse immunitaire : Bifidobacterium pseudocatenulatum, Roseburia spp. et Akkermansia muciniphila.
D’autre part, le microbiote lui-même est fortement influencé par des facteurs tels que la constitution du patient, l’utilisation d’inhibiteurs de la pompe à protons (traitement des brûlures d’estomac et reflux gastro-œsophagien) ou le régime alimentaire. Ils devront donc être pris en compte dans les futures études. Dr Karla Lee, chercheuse clinique du Département de recherche sur les jumeaux et d’épidémiologie génétique, auteur principal de l’étude, déclare dans un communiqué : « Notre étude pourrait avoir un impact majeur sur l’oncologie et la médecine en général ».
Le rôle du microbiote semble bien plus complexe que celui rapporté dans les études initiales. Il s’étend au-delà de la diversité microbienne et englobe les interactions complexes de ce dernier, avec des facteurs cliniques et biologiques, pouvant être spécifiques aux zones géographiques des patients et aux différents types de cancers.
La réponse aux immunothérapies médiée par la bonne santé du microbiote
Une étude parallèle, également publiée dans Nature Medicine, sous-tend de la même manière une réponse individuelle aux immunothérapies. Elle vise plus particulièrement les thérapies dites de blocage des points de contrôle immunitaire, qui a révolutionné le traitement du mélanome et du cancer en général. Cette thérapie repose sur des médicaments inhibiteurs bloquant les protéines, appelées points de contrôle, produites par certaines cellules du système immunitaire — les cellules T, par exemple — et également par certaines cellules cancéreuses. Les points de contrôle aident à empêcher les réponses immunitaires d’être trop fortes. En simplifiant, lorsque les points de contrôle sont bloqués, les cellules T peuvent mieux tuer les cellules cancéreuses.
Andrey Morgun, du Collège de pharmacie de l’OSU et co-auteure de l’étude, déclare dans un communiqué : « Notre étude a établi plusieurs microbiotypes dont certains étaient clairement corrélés à une réponse positive à l’immunothérapie anticancéreuse avec les espèces Lachnospiraceae, les autres à une réponse négative avec les espèces Streptococcaceae ».
Les résultats suggèrent également qu’environ un an après le début du traitement, le microbiote intestinal devient un facteur dominant en réponse au traitement, révélant que les micro-organismes qui entravent la thérapie ont plus d’influence que les bénéfiques.
Les observations des deux études montrent que les chances de survie basées sur des microbes sains ont presque doublé entre les sous-groupes. Comme l’explique le professeur Tim Spector, de la School of Life Course & Population Sciences et co-auteur de la première étude : « L’objectif ultime est d’identifier les caractéristiques spécifiques du microbiome qui influencent directement les avantages cliniques de l’immunothérapie afin d’exploiter ces caractéristiques dans de nouvelles approches personnalisées pour soutenir l’immunothérapie contre le cancer. Mais en attendant, cette étude met en évidence l’impact potentiel d’une bonne alimentation et de la santé intestinale sur les chances de survie des patients subissant une immunothérapie ».
Ces études mettent en évidence que le microbiote intestinal peut être considéré comme un biomarqueur potentiel de la réponse aux immunothérapies, ainsi qu’une cible thérapeutique. Elles donnent un éclairage nouveau sur l’interaction complexe entre eux. Ces résultats fournissent une feuille de route pour les futures études comprenant des enquêtes métagénomiques à des échelles sensiblement plus grandes, pour une meilleure représentation de populations. Un bel espoir pour le traitement du mélanome, forme la plus mortelle de cancer de la peau.