Selon un nouveau rapport très attendu et publié dimanche dernier, la majorité des femmes atteintes du cancer du sein au stade précoce (le plus courant), peuvent éviter la chimiothérapie après la chirurgie (ablation de la tumeur).
« C’est une découverte majeure », a déclaré le Dr Larry Norton, un expert en cancer du sein au Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, qui a aidé à organiser l’étude financée par le gouvernement, il y a plus d’une décennie déjà. Il s’agit en effet de l’étude la plus importante jamais réalisée concernant le traitement du cancer du sein, et les résultats devraient à présent aider de très nombreux patientes à travers le monde à faire face à cette épreuve, ainsi qu’à réduire le coût des médicaments. « L’impact est énorme », a déclaré le chef de l’étude, le Dr Joseph Sparano du Montefiore Medical Center à New York. La plupart des femmes dans cette situation n’ont pas besoin de traitement au-delà de la chirurgie et de l’hormonothérapie, et « le reste d’entre elles reçoivent une chimiothérapie inutilement », ajoute-t-il.
« Nous attendons ces résultats depuis des années », a déclaré Allison Kurian, oncologue à l’université de Stanford, qui n’a pas participé à l’étude. Cette même étude avait déjà confirmé que les patientes à faible risque, tels que déterminés par un test génomique de leurs tumeurs, peuvent ignorer la chimiothérapie.
Généralement, après la chirurgie, les patientes reçoivent une thérapie endocrinienne, telle que le tamoxifène, qui est conçue pour bloquer les effets stimulants hormonaux sur le cancer. Otis Brawley, directeur médical et scientifique de l’American Cancer Society, a qualifié l’étude d’un bon exemple de « médecine de précision » et a déclaré que cela sauverait de nombreuses femmes de chimiothérapies inutiles.
Les résultats proviennent donc d’une étude financée par le gouvernement appelée TAILORx, qui a été conçue pour aider les médecins à adapter plus précisément les traitements concernant le cancer du sein à un stade précoce.
Depuis 2006, l’étude a recruté plus de 10’000 femmes à travers les États-Unis et dans cinq autres pays, ayant reçu un diagnostic de cancer du sein à un stade précoce, et a suivi leur progression grâce à un traitement post-opératoire.
Les résultats récents ont été présentés dimanche matin lors de la réunion annuelle de l’American Society of Clinical Oncology à Chicago (USA), et publiés dans le New England Journal of Medicine.
Les tumeurs des patientes ont été analysées à l’aide d’un test appelé Oncotype DX, qui examine l’activité de 21 gènes pour prédire le risque de récidive sur 10 ans. Des études antérieures avaient clairement montré que les femmes ayant de faibles scores pouvaient éviter la chimiothérapie, et que celles qui avaient des scores élevés devraient tout de même avoir recours à la chimiothérapie.
La grande question en suspens était la suivante : que devraient faire les femmes avec des scores moyens ? Ces patientes étaient dans la « zone grise, et nous ne savions pas quoi leur dire », a déclaré Kurian.
Afin d’en découvrir la réponse, les chercheurs ont assigné au hasard plus de 6700 femmes avec des scores intermédiaires, à deux groupes distincts. Après la chirurgie, un groupe a seulement reçu une hormonothérapie, tandis que l’autre a été traité par endocrinothérapie et chimiothérapie. Après des années de suivi, les données ont démontré que la plupart des patientes qui n’avaient pas subi de chimiothérapie s’en sortaient aussi bien que les autres. Les femmes de 50 ans ou moins, ont été l’exception notable.
Par exemple, Phyllis Laccetti, une infirmière de nuit de 58 ans à Montefiore, a reçu un diagnostic de cancer du sein droit en 2007. Elle a subi une tumorectomie, suivie d’une mastectomie, et a obtenu un score de récidive dit moyen. Elle s’est ensuite inscrite à l’étude de TAILORx et a été soulagée d’être assignée au hasard au groupe qui n’allait pas devoir passer par la chimiothérapie, mais qui allait seulement devoir suivre un traitement à base de tamoxifène.
En effet, en raison de son travail d’infirmière, elle connaissait les effets parfois très accentués de la chimiothérapie. De plus, elle a vu son frère et sa sœur (qui sont tous deux décédés respectivement d’un cancer de la thyroïde et d’une leucémie), souffrir de traitements de chimiothérapie. « Ils étaient malades tout le temps », a-t-elle dit. « Mon frère était tellement malade qu’il disait: « Je ne peux plus suivre ce traitement », et c’était la même chose avec ma sœur ». Mais heureusement, le cancer de Laccetti n’est pas réapparu.
Les résultats des essais sont la dernière pièce du puzzle concernant la manière de traiter le cancer du sein à un stade précoce. La plupart des patientes atteintes de la maladie ont un taux de survie élevé, mais leur pronostic s’aggrave considérablement si leur cancer se manifeste à nouveau dans d’autres parties du corps. Pour cette raison, de nombreuses femmes atteintes d’un cancer à un stade précoce ont été invitées à subir une chimiothérapie, dans l’espoir de prévenir toute propagation de cancer ultérieure.
Mais au cours des dernières années, de nombreux médecins ont conclu que les femmes atteintes de cancer au stade précoce étaient tout simplement sur-traitées, provoquant des nausées, de la fatigue et, dans certains cas, des complications plus graves comme la leucémie et l’insuffisance cardiaque.
Pourtant, l’abandon de la chimiothérapie fait l’objet de vifs débats : certains médecins ayant averti que la chimiothérapie peut tout de même sauver des vies et qu’une telle « désescalade » du traitement, pourrait être dangereuse.
James Doroshow, directeur de la division de traitement et de diagnostic du cancer à l’Institut national du cancer (le principal promoteur de l’étude), a prédit que l’essai conduirait à des changements de traitement « pour un grand nombre de patientes potentielles ». Il s’attend à ce que les directives de traitement changent rapidement en fonction de l’étude, qui a été menée par un groupe de recherche nommé ECOG-ACRIN. Il a ajouté qu’il était important que le gouvernement fédéral finance l’étude, car l’industrie pharmaceutique a peu d’intérêt à parrainer des essais qui entraînent une réduction de traitement.
D’autres experts ont déclaré que les résultats confirment ce que de nombreux patients et médecins font déjà. « Les oncologues sont devenus beaucoup plus intelligents en ce qui concerne le rappel du traitement, afin qu’il ne fasse pas plus de mal que de bien », a déclaré Steven Katz, un chercheur de l’Université du Michigan.
Dans un article publié en décembre dernier, Kurian et Katz ont rapporté que l’utilisation de la chimiothérapie était en chute libre chez les patientes atteintes d’un cancer du sein à un stade précoce. Leur étude a montré, par exemple, l’utilisation de la chimiothérapie chez les patients dont le cancer ne s’était pas propagé aux ganglions lymphatiques, est passé de 26.6% en 2013, à 14.1% en 2015.
Harold Burstein, spécialiste du cancer du sein au Dana-Farber Cancer Institute, a déclaré qu’à certains égards, le débat sur la désescalade négligeait cependant un problème plus vaste : « Il s’agit d’apporter la bonne quantité de traitement à la tumeur, en fonction de sa biologie. Ce n’est pas la taille du marteau qui compte, c’est de savoir s’il s’agit du bon outil pour le travail à effectuer », a-t-il dit.
Alors que la chimiothérapie est abandonnée pour certains cas, elle est tout de même augmentée lors de traitements de cancers plus agressifs. « Nous voulons attribuer la bonne quantité. Ni plus, ni moins », a-t-il déclaré.