Alors que la consommation mondiale de marijuana augmente, ses effets sur les poumons restent peu étudiés et les résultats d’imageries pulmonaires des consommateurs sont rares. Une équipe de radiologues de l’Hôpital d’Ottawa a donc entrepris d’examiner de près les poumons des fumeurs de cannabis par tomodensitométrie thoracique. Leurs résultats suggèrent que l’inflammation des voies respiratoires et l’emphysème sont plus fréquents chez ces personnes que chez les non-fumeurs et les fumeurs de tabac.
La marijuana (ou cannabis) est la substance psychoactive illicite la plus largement consommée dans le monde, y compris en France, et la deuxième substance la plus couramment fumée après le tabac. Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en 2020, 46,1% des adultes âgés de 18 à 64 ans déclaraient avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie ; ils étaient 11,3% à en avoir consommé au cours de l’année écoulée.
Il est prouvé que la fumée de cannabis contient des agents cancérigènes connus et d’autres produits chimiques associés aux maladies respiratoires. La plupart des études se sont par ailleurs concentrées sur la relation entre la marijuana et la fonction pulmonaire, les symptômes et le cancer du poumon. Cette relation demeure toutefois peu claire et les résultats d’imagerie manquent pour étayer les hypothèses. « Il existe des découvertes bien documentées et établies sur le tabagisme sur les poumons. Nous en savons très peu sur la marijuana », a déclaré Giselle Revah, radiologue cardiothoracique et professeure adjointe à l’Université d’Ottawa et co-auteure de l’étude.
Une fréquence accrue d’emphysème et d’inflammation des voies respiratoires
L’objectif des chercheurs était de déterminer si les fumeurs de cannabis présentaient des séquelles identifiables sur les images de scanner thoracique, y compris l’emphysème — caractérisé par la destruction de la paroi des alvéoles — et des signes d’inflammation des voies respiratoires. Pour ce faire, ils ont examiné les scans pulmonaires de 56 fumeurs de marijuana, 57 non-fumeurs et 33 fumeurs de tabac uniquement.
Seuls 28 des 56 fumeurs de marijuana ont spécifié leur consommation quotidienne : 1,85 gramme par jour en moyenne. Pour les fumeurs de tabac, la consommation moyenne était de 40 paquets par an. Étant donné que le groupe des fumeurs de tabac ne comprenait que des patients âgés d’au moins 50 ans, l’équipe a également examiné les scans après les avoir répartis en sous-groupes appariés selon l’âge et le sexe.
La comparaison des images a révélé que 75% des fumeurs de cannabis souffraient d’emphysème, contre 67% des fumeurs de tabac et seulement 5% des non-fumeurs ; le sous-type d’emphysème prédominant chez les fumeurs de marijuana était l’emphysème paraseptal, qui affecte principalement les canaux alvéolaires. L’emphysème centrolobulaire, souvent localisé dans les zones apicales des poumons, était le schéma prédominant observé chez les fumeurs de tabac.
Il est également apparu que l’inflammation des voies respiratoires était plus fréquente chez les fumeurs de marijuana que dans les deux autres groupes. Des différences dans l’épaississement bronchique (64% contre 42%), la bronchectasie (23% contre 6%) et l’impaction mucoïde (46% contre 15%) ont été observées dans le groupe de marijuana non apparié selon l’âge, par rapport au groupe de tabac uniquement. « Le fait que nos fumeurs de marijuana – dont certains fumaient également du tabac – présentaient des signes supplémentaires d’inflammation des voies respiratoires et de bronchite chronique suggère que la marijuana a des effets synergiques supplémentaires sur les poumons par rapport au tabac », souligne le Dr Revah.
Des différences dues au mode d’inhalation
L’analyse des sous-groupes a démontré des différences encore plus significatives entre les deux types de fumeurs dans les taux d’épaississement bronchique (83% vs 42%), de bronchectasie (33% vs 6%) et d’impaction mucoïde (67% vs 15%). L’équipe n’a noté en revanche aucune différence évidente dans la présence de calcification de l’artère coronaire entre les fumeurs de cannabis et de tabac de même âge.
Les chercheurs ont par ailleurs observé que les fumeurs de cannabis étaient davantage sujets à la gynécomastie — une hypertrophie des glandes mammaires chez l’homme, due à un déséquilibre hormonal : 38% d’entre eux étaient concernés, contre seulement 11% des fumeurs de tabac et 16% des témoins.
Selon la spécialiste, plusieurs facteurs peuvent expliquer les différences observées entre les deux groupes de fumeurs, à commencer par le fait que le cannabis est généralement fumé sans filtre, contrairement au tabac ; par conséquent, davantage de particules nocives atteignent les voies respiratoires. « Il a été suggéré que fumer un joint de marijuana déposait quatre fois plus de particules dans les poumons qu’une cigarette de tabac moyenne. Ces particules sont probablement des irritants des voies respiratoires », précise le Dr Revah.
En outre, les fumeurs de cannabis inhalent de plus grands volumes, et maintiennent une apnée plus longue que les fumeurs de tabac, soulignent les auteurs de l’étude, ce qui peut expliquer l’incidence plus élevée de l’emphysème. « L’inhalation complète avec une manœuvre de Valsalva soutenue, peut entraîner des microbarotraumatismes et des modifications de l’espace aérien périphérique, telles que des bulles apicales », écrivent-ils.
D’autres recherches sont néanmoins nécessaires, avec des groupes de personnes plus importants et des données plus précises sur la quantité des substances fumées et la fréquence de consommation. Les recherches futures pourraient également comparer les effets de différentes techniques d’inhalation, comme le bang, le joint ou la pipe.