Au cours des quinze dernières années, les débats autour du statut du cannabis à fumer (Cannabis sativa), ou marijuana, se sont considérablement intensifiés dans le monde, à mesure que le mouvement visant à légaliser sa possession et son utilisation s’est accéléré. Certes, les méfaits du cannabis sont connus, mais récemment, des chercheurs ont trouvé un lien entre sa consommation et un avancement rapide de l’âge épigénétique de notre corps, qui peut diverger de l’âge chronologique réel.
Aux États-Unis, 46% des personnes déclarent avoir consommé du cannabis au cours de leur vie, 18% déclarent en avoir consommé au cours de l’année écoulée, et chez les adultes de 18 à 25 ans, la consommation annuelle s’élève à 35,4%. En effet, 6% des 13-14 ans, 17% des 15-16 ans et 21% des élèves de terminale ont déclaré avoir consommé du cannabis au cours du mois précédent, selon les données du National Institute on Drug Abuse. Le cannabis est la troisième substance psychoactive la plus consommée, après l’alcool et le tabac. Chaque année, 200 millions de personnes, soit 4% de la population mondiale, consomment du cannabis. La dépénalisation du cannabis fait que 7% des élèves du secondaire vaporiseraient des composés liés au cannabis.
C’est ainsi qu’à mesure que la consommation de cannabis devient légale et courante, dans de plus en plus d’endroits, il est essentiel d’accroître la compréhension de ses effets physiques potentiels à long terme. À ce jour, les preuves concernant les effets négatifs de la consommation du cannabis sur la santé physique sont incohérentes. D’un côté, des études ont impliqué la consommation de cannabis dans une gamme de déficiences physiques et mentales, comprenant la bronchite, l’emphysème, la fonction immunitaire, les problèmes de santé bucco-dentaire, la dépression et la psychose. D’un autre côté, plusieurs études, à long terme, n’ont trouvé aucun lien avec le risque global cardiovasculaire ou de mortalité. La plus grande limite à ce genre d’étude est la longue période existante avant l’apparition des problèmes de santé potentiellement liés à la consommation de cannabis.
Néanmoins, l’avènement des études épigénétiques, depuis les années 1990, semble pouvoir contrer ces obstacles. En effet, les progrès récents permettent désormais d’évaluer les marqueurs de méthylation de l’ADN, en lien avec la détérioration physique future. En termes simples, il s’agit de modifications chimiques qui interviennent pour réguler l’expression des gènes, sans modifier la séquence d’ADN. Des groupements dits « méthyles » se positionnent sur l’ADN, ce qui change la façon dont la cellule va lire le génome. La méthylation de l’ADN éteint les gènes, de manière stable, mais potentiellement réversible. On parle alors de marques épigénétiques. Ces dernières permettent ainsi d’étudier la façon dont des facteurs externes, tels que le comportement et l’environnement, peuvent provoquer des changements dans le fonctionnement de nos gènes. Ces marqueurs peuvent être suivis bien avant l’apparition de toute maladie réelle. Récemment, des chercheurs ont montré que les fumeurs réguliers de cannabis s’exposeraient à un risque supplémentaire : voir leur corps vieillir plus vite et ne plus refléter leur âge réel. L’étude est publiée dans la revue Drug and Alcohol Dependence.
Vieillissement accéléré et écart d’âge
Dans l’objectif d’estimer l’impact du cannabis sur l’état de l’organisme, les chercheurs ont suivi 154 volontaires américains pendant 17 ans, de leur 13e à 30e année. Durant ce laps de temps, les participants ont rempli annuellement un formulaire précisant leur consommation de cannabis. Arrivés à l’âge de 30 ans, ils ont fourni deux prises de sang aux scientifiques, afin qu’ils déterminent leur âge épigénétique, grâce aux marqueurs mentionnés ci-dessus. Les résultats de l’étude ont montré une corrélation claire entre la consommation de cannabis et le vieillissement épigénétique accéléré. En d’autres termes, l’âge chronologique réel des participants différait de leur âge cellulaire. D’ailleurs, plus la consommation de drogue est fréquente et importante, plus l’écart de vieillissement est grand. Les auteurs expliquent : « Ceux qui fumaient davantage vieillissaient épigénétiquement plus vite ».
De plus, les découvertes des chercheurs sont restées cohérentes même lorsqu’elles sont comparées à d’autres facteurs connus pour influencer l’âge biologique et le taux de vieillissement, tels que le tabagisme, le statut socio-économique, les traits de personnalité et la capacité à faire face à la dépression et à la peur. Les chercheurs soulignent : « Bien que cela ne puisse pas être déterminé avec certitude, nos résultats sont en corrélation avec une relation causale entre la consommation de marijuana et le vieillissement épigénétique ».
Gène AHRR et cannabis
Leur étude souligne néanmoins un point important : ce n’est pas le cannabis en lui-même qui fait vieillir, mais plutôt le fait de le fumer. Une analyse plus approfondie des résultats suggère que l’accélération du vieillissement épigénétique due à la consommation de cannabis est cohérente avec les modifications d’un gène particulier appelé AHRR. Il s’agit d’un gène répresseur du récepteur des hydrocarbures.
D’ailleurs, l’hypométhylation de ce site — entrainant une forte expression du gène — est reliée, même chez les non-fumeurs, à l’exposition aux particules fines telles que celles produites par les gaz d’échappement des voitures, la combustion du bois et la fumée d’usine. Par conséquent, les chercheurs estiment que les dommages chez les fumeurs de cannabis sont le résultat de la fumée elle-même, et non du THC, le principal ingrédient actif du cannabis, ou de tout autre ingrédient actif présent dans le cannabis. Cette découverte médiatrice est cohérente avec l’explication selon laquelle les effets épigénétiques du vieillissement observés reflètent les effets de l’inhalation de fumée de marijuana (par opposition à l’ingestion de THC). Ceci est également cohérent avec le grand nombre de conclusions concernant les effets, de la consommation de cannabis, de nature bronchique.
Enfin, les résultats suggèrent que plus la consommation de cannabis est récente, plus elle intensifie le vieillissement chez la personne. Ceci les a amenés à formuler trois hypothèses : soit les effets du cannabis consommé plus jeune s’estompent au bout d’un certain temps, avec la diminution de la consommation, soit les effets de cette substance sont beaucoup plus forts chez des personnes plus âgées que les adolescents. Soit, finalement, ce sont les augmentations récentes, de la puissance de la marijuana disponible pour la consommation, qui pourraient expliquer, au moins en partie, ces effets. Néanmoins, les auteurs soulignent : « La marijuana a des effets de vieillissement épigénétiques importants, mais [peut-être] que ceux-ci sont facilement réversibles lorsque l’utilisation cesse ».
Bien que ces résultats suggèrent l’association d’un vieillissement épigénétique accéléré avec la consommation de cannabis, des ensembles de données longitudinales prospectives telles que celles-ci ne peuvent pas établir pleinement les liens de causalité. Cependant, l’équipe espère faire avancer la recherche dans ce domaine en explorant des mécanismes épigénétiques supplémentaires, les effets de la quantité, de la qualité et de la puissance du cannabis, ainsi que l’impact d’autres formes d’ingestion de cannabis, afin de bien définir comment le cannabis affecte l’épigénome.