Des robots similaires de forme humaine (humanoïdes) pourraient-ils un jour interagir avec des personnes isolées pour améliorer leur bien-être ? Devant le développement des intelligences artificielles, certains chercheurs se posent la question de leurs capacités sociales. Mais d’après leurs premiers résultats, les humains ne seraient pas vraiment enclins à laisser entrer dans leur vie des êtres artificiels trop similaires à eux.
Dans une étude menée à l’université d’État de l’Ohio, et publiée dans la revue Communication research reports, des chercheurs se sont intéressés à l’impact de différents critères sur la perception d’intelligences artificielles « à but social ». Leurs recherches portaient tout particulièrement sur la perception de robots, ou d’intelligences artificielles, qui auraient pour but d’intervenir auprès de personnes isolées. Comme l’étude le rappelle, « la solitude est un état psychologique dans lequel les individus se sentent perdus, en détresse et isolés des autres ».
Dans ce genre de situation, la « présence sociale » et la « chaleur humaine » sont deux critères qui peuvent se révéler bénéfiques, ne serait-ce que pour transmettre des informations susceptibles d’aider une personne plus durablement. Cela est vrai, évidemment, pour les interactions entre humains. Mais des études démontrent que nous appliquons inconsciemment certains de ces schémas à des interactions homme-machine. Les chercheurs se sont donc demandé si ces deux critères pouvaient également influer sur la perception de l’utilité d’un robot « compagnon ».
« Présence sociale » et « chaleur » sont deux concepts bien distincts. Les chercheurs expliquent ainsi que la présence sociale, dans ce contexte, est « un état psychologique dans lequel les acteurs sociaux virtuels sont vécus comme des acteurs sociaux réels ». La « chaleur », d’autre part, est plutôt un sentiment d’intimité et de convivialité. De précédents essais montrent que cette notion peut avoir un impact important sur la perception d’un robot.
Les résultats d’une enquête ont pourtant été plutôt surprenants de ce point de vue. Un questionnaire a été transmis à des étudiants, et 160 réponses ont été retenues. Le test principal était le suivant : une partie des élèves devait regarder une vidéo de quelques minutes montrant une femme seule se liant avec une IA incarnée dans un corps humain réaliste. Les autres ont visualisé une vidéo similaire, mais qui mettait en scène une IA désincarnée, présente seulement par la voix.
Les étudiants ont préféré la voix au robot réaliste
Les étudiants ont ensuite répondu à diverses questions destinées à évaluer leur ressenti de la présence sociale et de la chaleur. On leur demandait également si la présence d’une telle IA leur semblait utile, et s’ils la recommanderaient pour une personne isolée. Une hypothèse de départ était que plus le robot agirait comme un humain, plus il serait perçu positivement.
Cela s’est révélé vrai, mais seulement pour la version désincarnée. Au contraire, si les étudiants notaient davantage de présence sociale sur la version incarnée, alors ils étaient moins susceptibles de le recommander. Pour Kelly Merrill, auteure principale de l’étude, qui s’est exprimée dans un communiqué de l’université, cela pourrait être lié à ce que l’on nomme familièrement « l’uncanny valley », ou « vallée de l’étrange ». « Les gens deviennent mal à l’aise lorsqu’ils voient des robots qui semblent presque humains, mais qui sont légèrement artificiels », explique-t-elle ainsi. « Nous pensons que cela peut sembler un peu trop effrayant d’avoir ces robots incarnés qui agissent comme et semblent presque humains. Dans les vidéos, l’acteur jouant la version robot d’Ash a fait du bon travail en semblant légèrement mécanique et pas tout à fait humain. Cela fait peur aux gens, et c’est peut-être pourquoi une plus grande présence sociale dans le Ash incarné n’a pas rendu les gens plus susceptibles de recommander le robot aux personnes seules ».
Dans la version où l’IA était uniquement vocale, les recommandations étaient au contraire plus en accord avec le degré de « présence sociale » accordée dans la notation. Résultat peut-être plus étonnant, le degré de « chaleur humaine » n’a pas influé sur le degré de recommandation d’un robot social pour les personnes isolées, ou sur l’utilité perçue. « Il se peut que les gens pensent qu’un compagnon IA pour les personnes seules serait bon pour une conversation informelle, mais ne devrait pas remplacer une amitié plus intime et plus profonde », interprète Kelly Merrill. D’autres études sur le sujet devraient toutefois être menées. En effet, les vidéos montrées n’étaient pas tout à fait identiques selon les groupes témoins, et l’exposition à l’IA était de fait indirecte, ce qui pourrait avoir un impact sur les résultats.