Une équipe de chercheurs de l’université de Birmingham a publié dans la revue Nature ses résultats sur la conception et l’utilisation d’un capteur de gravité quantique. Les scientifiques affirment avoir réalisé une première mondiale en parvenant à « cartographier » un tunnel enterré à un mètre sous la surface en conditions réelles avec un capteur de gravité quantique.
Le professeur Kai Bongs, co-auteur de cette étude et chercheur à l’UK Quantum Technology Hub Sensors and Timing, s’est fortement réjoui des résultats obtenus. « Il s’agit d’un ‘moment eurêka’ dans la détection, qui transformera la société, la compréhension humaine et les économies », a-t-il affirmé dans un communiqué de l’université de Birmingham.
Les scientifiques sont en effet parvenus à faire fonctionner pour la première fois en conditions réelles un « gradiomètre de gravité quantique », ou « gravimètre quantique ». C’est-à-dire, un appareil capable de mesurer les variations de la gravité en utilisant des principes de la physique quantique. Des capteurs de gravité (non quantiques) existaient déjà, mais il était difficile d’en extraire des résultats avec précision, car ils sont très sensibles, entre autres, aux vibrations terrestres. Ces appareils doivent être recalibrés régulièrement, et prennent beaucoup de temps pour fournir des résultats.
Cette nouvelle version « quantique » permet elle de fournir des résultats, selon les chercheurs, en dix fois moins de temps et à moindre coût. Il est aussi possible avec cet appareil de corriger les fameuses perturbations qui altéraient la précision des précédents gravimètres. Pour l’heure, les scientifiques ont été capables, hors laboratoire, de « cartographier » un tunnel enfoui à un mètre dans le sol.
Dans l’idée de base, le fonctionnement du gravimètre ne « change » pas vraiment. Il s’agit toujours de mesurer l’accélération de la pesanteur à un endroit donné, ce qui permet de déduire les variations dans la gravité. Plusieurs types de gravimètres existent. Prenons pour expliquer le plus « simple » à comprendre : le gravimètre à ressort.
Mesurer les différences de gravité
Dans cet appareil, il s’agit d’accrocher une masse à un ressort, qui l’étire en fonction de la gravité. Il suffit alors de mesurer les variations dans l’extension du ressort pour déterminer les variations de la gravité. Or, le sous-sol a justement une influence sur cette gravité, car elle dépend de la masse de la terre, qui peut donc connaître des variations en fonction de ce qui se trouve dessous.
Un gravimètre quantique fonctionne un peu de la même façon, mais en utilisant des principes de physique quantique, c’est-à-dire, la physique qui étudie les phénomènes se déroulant à l’échelle atomique ou subatomique.
« Lorsque nous parlons de capteurs quantiques, nous entendons des capteurs qui utilisent des effets quantiques améliorés, comme la superposition ou éventuellement l’intrication », a expliqué Bongs au média Physicsworld. « La superposition quantique est l’idée que les particules quantiques peuvent être dans deux états à la fois ou se déplacer le long de deux trajectoires à la fois. La différence entre ces deux trajectoires peut créer essentiellement une interférence quantique lorsque nous les rapprochons, et cela nous permet de lire ce qui a causé la différence avec une très grande précision », explique-t-il.
Grossièrement, on peut dire que dans un gravimètre quantique, les scientifiques utilisent des atomes au lieu du poids et du ressort. Des nuages d’atomes de rubidium (Rb) sont « lâchés », et l’on mesure les changements dans la force d’attraction des champs gravitationnels appliquée sur ces atomes, à l’aide de lasers, sur les deux trajectoires différentes. On appelle le fait de créer ces deux trajectoires, puis de les recombiner, « l’interférométrie atomique ».
Plus un objet ou une structure située sous terre est grand, ou présente une importante différence de densité par rapport à son environnement, plus la différence d’attraction sera forte. C’est donc l’observation de ces différences, comme dans les gravimètres classiques, qui permet en définitive de « cartographier » les sous-sols. Le fait qu’il s’agisse d’un gravimètre quantique permet en revanche de le faire de façon plus rapide et précise, en surmontant beaucoup de paramètres parasites.
Faire de l’archéologie sans creuser
« Grâce à cette percée, nous avons le potentiel de mettre fin à la dépendance aux mauvais enregistrements et à la chance lorsque nous explorons, construisons et réparons. La possibilité de créer une carte souterraine de ce qui est actuellement invisible est une avancée significative, mettant fin à une situation où nous en savons plus sur l’Antarctique que ce qui se trouve à quelques mètres sous nos rues », explique Kai Bongs.
De nombreux usages sont déjà envisagés pour ce dispositif. Sur le plan archéologique, cette possibilité de cartographier les sous-sols permettrait de faire des découvertes et des observations sans excaver. En ingénierie, il serait possible d’avoir une meilleure connaissance des sous-sols avant de creuser pour construire. Des usages sont aussi évoqués pour la recherche de ressources naturelles, qui serait bien plus aisée de cette façon. Les chercheurs pensent également que leur outil pourrait aider à prévoir des catastrophes naturelles, comme les éruptions volcaniques. La Défense, qui est d’ailleurs associée au projet, y a aussi ses intérêts : impossible, avec une telle technologie, de dissimuler une structure sous terre. Les scientifiques pensent qu’il sera aussi possible d’appliquer cet outil aux fonds marins.